Le commissaire allemand au budget, Günther Oettinger, le 23 mai à Bruxelles. / JOHN THYS / AFP

Günther Oettinger a raté une bonne occasion de se taire mardi 29 mai. Réputé pour son franc-parler, le commissaire allemand au budget a accordé une interview à la radio publique allemande Deutsche Welle, déclarant, à en croire son intervieweur, le journaliste Bernd Thomas Riegert, qui a tweeté le passage en début d’après-midi : « les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter. »

Sortie de son contexte, cette citation en anglais a enflammé le Web et les esprits en Italie, alors qu’au même moment, à la Bourse de Milan, le taux d’emprunt de la dette italienne croissait dangereusement, traduisant les fortes inquiétudes des investisseurs et le retour du spectre de l’« Italexit » (la sortie de l’Italie de la zone euro).

« C’est fou, à Bruxelles ils n’ont vraiment pas honte (…). Si ce n’est pas une menace, ça ! Moi, je n’ai pas peur », a immédiatement tweeté Matteo Salvini, le chef de la Ligue (extrême droite italienne). Même réaction outrée de Luigi Di Maio, le chef de file du Mouvement 5 Etoiles (M5S) :

« Ces gens traitent l’Italie comme une colonie de vacances où venir passer l’été. Mais dans quelques mois naîtra un gouvernement du changement et nous nous ferons enfin respecter en Europe. »

Laura Agea, la chef de file des quatorze élus M5S au Parlement européen, a carrément réclamé la tête de M. Oettinger :

« Ce n’est certainement pas à un commissaire allemand ni aux spéculateurs financiers de dire aux Italiens comment voter. (…) Ces propos sont d’une gravité sans précédent. »

Recadrage de Jean-Claude Juncker

Le journaliste de la Deutsche Welle a essayé de rattraper l’énorme gaffe dans l’après-midi, expliquant que les propos de M. Oettinger avaient été déformés, et précisant que la citation exacte était en réalité :

« Je suis inquiet et je m’attends à ce que dans les semaines à venir les développements pour l’économie de l’Italie pourraient être si drastiques que cela pourrait être un signal possible aux électeurs de ne pas choisir des populistes de gauche et de droite. »

La citation est certes moins percutante mais, sur le fond, elle véhicule le même message : les marchés auront raison des populistes. Du carburant gratuit, surtout pour la Ligue, qui vilipende en boucle « Berlin » et « Bruxelles », les accusant de vouloir tirer les fils de la politique italienne à distance, au mépris de la démocratie transalpine.

M. Juncker ne s’y est pas trompé, qui a vigoureusement recadré son commissaire, mardi soir. « Le sort de l’Italie ne saurait dépendre des injonctions que pourraient lui adresser les marchés financiers », a-t-il fait savoir. M. Oettinger a dû également s’excuser, dans un bref communiqué, assurant qu’il « ne voulait pas manquer de respect » aux Italiens.

Ces gages de non-ingérence seront-ils suffisants, quand beaucoup, en Italie, ont encore en tête les conditions du départ de Silvio Berlusconi, à l’automne 2011, en pleine tourmente financière ? A l’époque, la perte de confiance des investisseurs dans sa capacité à diriger le pays avait beaucoup pesé. Depuis, l’ex-premier ministre a souvent crié au « complot » ourdi contre lui par d’autres dirigeants de l’Union européenne pour rassurer les marchés.