Chronique. A Paris, samedi 26 mai, un sans-papiers a sauvé un enfant de 4 ans en escaladant à mains nues quatre étages d’un immeuble. Immédiatement, la vidéo de ce geste héroïque, parfaitement calibrée pour les réseaux sociaux tant elle est brève et spectaculaire, est devenue virale. La réaction des autorités ne s’est pas fait attendre : lundi, le président Emmanuel Macron a reçu le Malien de 22 ans et s’est engagé à lui accorder la nationalité française.

Je suis heureux pour Mamoudou Gassama. Quitter une vie de peur permanente, menacé d’enfermement en centre de rétention puis d’expulsion vers Bamako, pour devenir citoyen du pays où il vit est un immense changement. Il pourra travailler et recouvrer la dignité que confère le fait de marcher la tête haute sans jouer à cache-cache avec les policiers. Mais je suis assez réservé sur cette manie des autorités françaises de récompenser par la nationalité tout Africain auteur d’un geste héroïque.

Les migrants sont des personnes, pas des statistiques

La France, ancienne puissance coloniale, a toujours un complexe de supériorité vis-à-vis de nous. Et nous nourrissons ce complexe quand la case Elysée est incontournable pour nos chefs d’Etat, quand les instances de légitimation de nos intellectuels sont encore à Paris, quand pour le citoyen africain moyen la quête d’un visa pour la France s’apparente à celle du Graal. Dans ces conditions, lorsqu’un Malien obtient de façon miraculeuse le passeport français, il ne faut pas s’étonner que cette naturalisation soit vécue comme une élévation à une dignité supérieure : celle d’être français.

En janvier 2015, le Malien Lassana Bathily, qui s’était illustré lors de l’attentat du magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes, à Paris, avait été naturalisé par le président François Hollande, dont le mandat avait été marqué par un projet de loi – avorté – sur la déchéance de la nationalité. Aujourd’hui, c’est au tour de Mamoudou Gassama d’être « anobli » par Emmanuel Macron, lequel est en train de mener la politique la plus répressive en matière d’immigration depuis plusieurs décennies en France.

L’histoire de Mamoudou Gassama est un conte de fées qui cache mal une gestion des migrants à bien des égards critiquable. Elle ne doit pas occulter la réalité des milliers de Maliens qui vivent un enfer dans leur quête d’une vie décente que leur pays ne leur offre pas. Sans le vouloir, Mamoudou Gassama donne une leçon de vie à son bienfaiteur en lui rappelant que les migrants que son gouvernement déshumanise au quotidien ne sont pas des statistiques mais des personnes qui, en fuyant divers drames dont la pauvreté, sont capables de grandeur.

La nationalité française serait-elle plus haute en dignité ?

Une autre chose dans cette affaire m’a arraché un sourire gêné. Il s’agit de la réaction des autorités maliennes. Sur Twitter, l’ancien ministre des affaires étrangères Abdoulaye Diop s’est déclaré « fier » de Mamoudou Gassama et a ajouté, concernant sa naturalisation : « c’est mérité ». L’ambassadeur du Mali en France a quant à lui reçu le « héros » et a salué « un acte de bravoure et de vaillance ». En quête d’un nouveau mandat, le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, dont la gestion du pays n’est guère étrangère à cette ruée des jeunes Maliens vers l’Europe, a pour sa part félicité Mamoudou Gassama pour avoir « honoré tout le Mali ».

Ces responsables maliens ne se rendent-ils pas compte que si les conditions d’une vie épanouie étaient réunies au Mali, Mamoudou Gassama n’aurait pas préféré être un sans-papiers à Paris plutôt qu’un travailleur libre de ses faits et gestes à Bamako ? Ne voient-ils pas qu’être fier de la naturalisation annoncée du jeune homme, c’est reconnaître et accepter que la nationalité française est plus haute en dignité que la malienne ? Contre une telle idée, ils devraient pourtant se battre avec les armes que leur confère le suffrage du peuple dont ils sont dépositaires.

Hamidou Anne est un consultant en communication institutionnelle sénégalais qui vit à Dakar. Il est également coauteur de l’ouvrage collectif Politisez-vous !.