Marlène Schiappa à la sortie du conseil des ministres, le 16 mai 2018 à Paris. / GERARD JULIEN / AFP

Il y a toujours un risque à mélanger les genres. La secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, est en train d’en faire l’expérience. Il était étonnant de recevoir l’invitation au lancement de son livre Si souvent éloignée de vous (302 p., 19,50 euros), adressée par son éditeur Stock, dans un courriel envoyé par le secrétariat d’Etat, canal habituellement utilisé pour diffuser communiqués et agenda officiels. L’association anticorruption Anticor fait plus que s’étonner. Elle s’indigne. Et a annoncé lundi 28 mai avoir saisi la Commission nationale de l’informatique et des libertés et le premier ministre. L’article 226-21 du code pénal punit de cinq ans de prison et de 300 000 euros d’amende tout détournement de finalité de fichier, rappelle Jean-Christophe Picard, le président d’Anticor, dans les courriers adressés à ces derniers mis en ligne sur le site de l’association.

Le livre de Marlène Schiappa n’est pourtant « ni une communication gouvernementale ni un bilan d’action politique, mais un récit purement personnel, partiel et parfois romancé », précise l’auteure en introduction. Il s’agit, pour l’association, d’une utilisation des moyens de l’Etat à des fins de promotion personnelle. L’entourage de la secrétaire d’Etat évoque une « maladresse » qui « ne se reproduira plus ».

L’association Anticor reproche à Mme Schiappa une utilisation des moyens de l’Etat à des fins de promotion personnelle

La jeune femme, habituée au buzz médiatique, signe un étrange ouvrage. C’est effectivement un récit intime, rédigé sous forme de lettres adressées à ses deux filles par leur mère, « telle une Madame de Sévigné moderne », écrit son éditeur avec aplomb. Il ne peut cependant pas échapper à une lecture politique, vu la fonction exercée par Mme Schiappa au sein du gouvernement. Il le peut d’autant moins qu’il traite d’un problème crucial pour l’égalité entre les sexes : la capacité pour les femmes à exercer des responsabilités professionnelles tout en ayant des enfants. Elle en a fait sa marque de fabrique : oui, on peut tout faire, y compris écrire un ouvrage épistolaire en étant au gouvernement. Surtout quand on dort comme elle quatre heures par nuit, ce qui n’est pas le lot commun. La créatrice du blog et du réseau Maman travaille, qui l’a fait connaître, emmenait déjà ses enfants aux conseils municipaux du Mans quand elle en était membre, ce qui avait le don d’agacer les élues plus anciennes…

Exercice teinté d’humour

Dans les passages les plus réussis de son ouvrage, Marlène Schiappa dévoile ainsi ce que d’autres ministres, femmes ou hommes, ont peut-être pensé mais jamais dit – comme Najat Vallaud-Belkacem par exemple, elle aussi ministre (sous François Hollande) et mère de deux enfants dont elle ne soufflait jamais mot. Par exemple, Marlène Schiappa sélectionne ses interventions dans les « matinales » radio et télévision en fonction de « la possibilité pour moi de prendre le petit déjeuner avec mes enfants ». « Avec ce critère, Les Quatre Vérités [sur France 2] sont éliminées », conclut-elle. Plutôt convaincant aussi, son sentiment de culpabilité quand elle a cru transmettre une maladie tropicale rare à sa plus jeune fille après un déplacement professionnel au Sénégal. Ou la description de ses premiers jours de mère désemparée face à un bébé « beaucoup trop beau pour moi ».

L’exercice, teinté d’humour, tourne parfois au registre de la littérature de gare quand, entre récit d’un quotidien survolté et conseils de survie à ses filles en colonie de vacances, Marlène Schiappa passe à la narration de ses rendez-vous amoureux. « Ce soir-là, le garçon parle, parle, parle, il ne s’arrête plus, écrit-elle. Celui d’avant était joueur. Fin, cultivé. Avec un sourire qui appelait au secours et des cernes sous les yeux, promesses de soirées prolongées. Mais alors là, quel ennui. Je regarde autour. Il ne va jamais se taire ? » Il rappelle souvent la presse féminine – que Marlène Schiappa prétend pourtant prendre à contre-pied. « Les magazines ne savent rien du corps des femmes (…), écrit-elle. Je ne suis pas la plus mince ni la plus jolie, je n’ai jamais acheté de crème raffermissante. De toute ma vie. Ce qui compte, c’est qui vous êtes, vous. »

Une secrétaire d’Etat devrait-elle écrire ça ? Le public attend-il cela de la part d’une femme politique ? Il est vrai qu’il est à la recherche d’authenticité. Ainsi exposée, elle devient une forme comme une autre de communication. Ce qui pourrait passer chez Marlène Schiappa pour de la naïveté, ou une volonté puérile de se donner en exemple, pourrait bien révéler au contraire une maîtrise parfaite des codes de la société du spectacle.