Documentaire sur Arte à 20 h 50

Sepp Blatter et Vladimir Poutine, à Saint-Pétersbourg, le 25 juillet 2015. / MAXIM SHIPENKOV/AFP

Comment la Russie a-t-elle gagné le droit d’organiser la Coupe du monde de football 2018 ? A la veille de l’ouverture du tournoi planétaire (du 14 juin au 15 juillet), les zones d’ombre autour du vote d’attribution du 2 décembre 2010 persistent. Après avoir enquêté sur les conditions troubles du triomphe dans les urnes du Qatar comme pays hôte du Mondial 2022 (La ­Famille FIFA – Une scandaleuse histoire d’amour, 2018), le journaliste danois Niels Borchert Holm tente de mettre au jour les arrangements politiques et autres manœuvres en sous-main qui ont scandé la campagne électorale victorieuse de la Russie, pourtant dotée du plus mauvais dossier de candidature.

Un climat de guerre froide

Dans La Coupe du monde des ­espions, le documentariste et son confrère Jon Adelsten reviennent surtout sur l’âpre duel que se sont livré lors du scrutin la Russie, ­plébiscitée (13 voix sur les 22 membres votants du comité ­exécutif de la Fédération internationale de football), et l’Angleterre, berceau du football, qui ne récolta que deux suffrages et fut éliminée dès le premier tour. Une humiliation en mondovision que le Suisse Sepp Blatter, alors président de la FIFA et fervent partisan de la ­Russie, avait prédite : « Les Anglais n’ont aucune chance de gagner. »

En marge de leur intense campagne de lobbying, les deux pays candidats ont eu recours à tous les procédés pour remporter la mise. Dans un climat de guerre froide, ils se sont notamment appuyés sur leurs services de renseignement pour s’épier et collecter des données. Si la Russie nie avoir établi une unité du FSB (service fédéral de sécurité) à Londres, le comité de candidature anglais reconnaît aujourd’hui avoir « récolté des ­informations méthodiquement » pour contrer les opérations de ­piratage informatique menées ­depuis Moscou. D’anciens espions du MI6, les services de ­surveillance britanniques, ainsi que le réseau d’ambassades, ont été utilisés par la Perfide Albion. Au fil des mois, les Russes prennent le dessus dans cette guerre des nerfs. « Ce sont les experts du renseignement depuis toujours », estimele consultant hongrois ­Peter Hargitay, un temps embauché par le comité anglais et témoin privilégié de cette passe d’armes diplomatique.

L’ombre de Gazprom

Judicieusement, Niels Borchert Holm et Jon Adelsten font le parallèle entre ce duel électrique pour l’obtention du Mondial 2018 et les bras de fer ­engagés, ces dernières années, ­entre Londres et Moscou : l’empoisonnement, en 2006, d’Alexander Litvinenko, ancien agent du FSB et réfugié au Royaume-Uni, et la récente affaire Skripal. Le documentaire met en évidence l’ingérence politique ­observée lors du processus d’attribution de la Coupe du monde. En atteste l’intervention du président allemand Christian Wulff, la veille du scrutin de 2010, auprès de son compatriote Franz Beckenbauer, membre votant du comité exécutif de la FIFA, prié de donner son suffrage à la Russie.

L’ombre du géant énergétique Gazprom plane sur ce ralliement de dernière minute de l’ex-légende de la Nationalmannschaft. D’autant que le « Kaiser » Beckenbauer a signé, en 2012, un contrat d’image avec la Société gazière de Russie (RGO), devenant par la même occasion l’ambassadeur de Gazprom, sponsor de la FIFA et de l’Union des associations européennes de football (UEFA). ­Malgré les soupçons de corruption et autres collusions d’intérêts, rien n’est venu remettre en cause la victoire de Moscou dans les urnes. « Le combat fut rude mais loyal », se contenta d’ailleurs de déclarer Vladimir Poutine, ­sitôt la Russie désignée comme pays hôte du Mondial 2018.

La Coupe du monde des espions, de Niels Borchert Holm et Jon Adelsten (Allemagne, 2018, 55 min)