L’Olympique lyonnais contre FC Nantes, à Lyon, le 19 mars. / Jean Paul Thomas / Jean Paul Thomas / Icon Sport

Cataclysme chez Canal+. La chaîne payante, partenaire historique du football français, est revenue les mains vides de l’appel d’offres du championnat de Ligue 1 pour les saisons 2020-2024. De ses écrans, pourraient donc disparaître les matchs du PSG, de l’OM ou de Monaco. L’agence de gestion des droits espagnols, Mediapro, rafle la mise et diffusera à partir de 2020, 8 matchs sur 10 par journée de championnat. BeInSport a obtenu deux matchs par journée, et Free (dont le fondateur Xavier Niel est actionnaire du Monde) le lot numérique, qui propose les meilleurs moments en quasi direct.

SFR, encore en convalescence, a préféré passer son tour. Au final, le football français empoche 1,15 milliard d’euros par saison, soit une inflation des droits de 60 %. « Cet appel d’offres va nous permettre de rattraper notre retard et confirme la dimension internationale du championnat », s’est félicité le directeur général exécutif de la Ligue de football professionnel (LFP), Didier Quillot.

Le PDG de Canal+, Maxime Saada, a tenté de minimiser cet échec. « Nous le vivons sereinement. Nous avons misé le prix que cela vaut pour nos abonnés », a justifié le PDG de Canal+, rappelant l’échec de certains rivaux dans le passé, comme TPS ou Orange Sport. Le patron du groupe de télévision payante espère maintenant racheter une partie des matchs auprès de Mediapro, comme le lui permet la procédure. « Nous avons deux ans pour voir ce qu’il peut se passer », a lancé le patron de Canal+. Pourtant, Mediapro a indiqué à la LFP que son projet n’était pas de revendre les matchs mais de lancer sa propre chaîne payante en France.

Ni Canal+ ni beINSport n’ont vu arriver Mediapro

Comment Canal+, grand spécialiste du sport, a-t-il pu à ce point passer à côté de ce rendez-vous ? « Cet appel d’offres était sophistiqué et inflationniste. Nous avons aussi démarché dans une discrétion absolue des partenaires étrangers », explique M. Quillot. Lors de la journée d’enchères de mardi, les candidats ont misé à l’aveugle, depuis leur bureau, sans savoir qui étaient leurs concurrents. Selon nos informations, ni Canal+ ni beINSport n’ont vu arriver Mediapro, même si M. Saada explique avoir « envisagé tous les scénarios ». Si Canal+ envisage un recours, beINSport s’est dit « étonné des résultats de l’appel d’offres » et se dit « attentif à l’évolution du marché ».

Dès le premier lot, qui rassemblait les 10 plus belles affiches, Canal+ a perdu la partie face à Mediapro, misant, selon nos informations, 260 millions d’euros contre 330 millions d’euros pour l’Espagnol.

Après cette première défaite, la chaîne cryptée a ensuite tenté de faire échouer l’appel d’offres en faisant en sorte que les trois premiers lots, qui comprenaient les plus belles cases et les plus beaux matchs, n’atteignent pas le prix de réserve, ce qui aurait déclenché une remise en jeu des droits. Le groupe a misé seulement 10 millions d’euros sur les deux lots suivants, laissant sans le savoir un boulevard à Mediapro, qui a emporté le lot 2 et à beINSport, qui, a obtenu le lot 3 et ses deux matchs du samedi 21 heures et du dimanche 17 heures.

Nouveau revers

Pour se rattraper, Canal+ a ensuite tenté d’acquérir les cinq moins belles affiches du championnat, là aussi raflées par Mediapro, et le lot numérique, emporté par Free. Au final, de bonne source, Mediapro a déboursé environ 800 millions d’euros, beINSport 320 millions et Free un peu moins de 50 millions d’euros.

Reste, pour Canal+ à mesurer les conséquences d’une grille de programme qui serait privée de Ligue 1. « On estime à 2 millions le nombre de “fans de football” parmi les 4,8 millions d’abonnés à Canal+, soit environ 40 % du total », explique un analyste financier. Preuve de l’attachement au foot de ce noyau dur, nombreux sont ceux qui sont également abonnés à beINSports. « A 35 euros de revenu par abonné par mois, leur départ représenterait un manque à gagner de 800 à 850 millions d’euros par an, c’est énorme », complète cet analyste, selon lequel Canal+ pourrait également subir un « effet de halo » lié à la dégradation d’image et à la moindre médiatisation entraînée par l’absence de la Ligue 1.

Pour empêcher une fuite massive de ses clients, Canal+ étudie deux options. Outre un rachat de droits, il envisage de nouer un accord de distribution avec Mediapro, afin de continuer à diffuser la Ligue 1. Maxime Saada n’envisage donc pas de se passer du football, même si l’offre de Canal+ se tarit progressivement ces dernières années, avec la perte récente de la Ligue des champions, rachetée par SFR. Pourtant, le groupe évoque parfois « un plan B », qui consisterait à concentrer la chaîne sur les séries, le cinéma et le divertissement. « Il n’est pas encore temps d’enclencher ce virage stratégique », a précisé M. Saada. Une telle stratégie placerait Canal+ en concurrence frontale avec des acteurs puissants et mondialisés, comme HBO, Netflix ou Amazon.

Ce nouveau revers fait encore pâlir l’étoile de Vincent Bolloré, premier actionnaire de Vivendi, en difficulté sur de nombreux dossiers, en Italie avec Mediaset et Telecom Italia, ou dans ses affaires africaines.