Le Brésilien Neymar, le 12 mai, au Parc des Princes. / PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

Le résultat de l’appel d’offres organisé par la Ligue de football professionnel (LFP) pour les droits télévisés de la Ligue 1, au titre du cycle 2020-2024, a été ressenti, mardi 29 mai, comme un séisme. Contre toute attente, c’est le groupe espagnol Mediapro qui s’est adjugé la majeure partie (780 millions d’euros annuels) du gâteau et diffusera huit matchs du championnat par journée, dont l’affiche du dimanche. Et les droits s’envolent pour atteindre la somme record de 1,153 milliard d’euros annuels, contre 726,5 millions d’euros pour le cycle actuel (2016-2020).

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Après avoir diffusé le championnat de France durant trente-quatre ans, la chaîne Canal+ est la grande perdante et se trouve exclue du jeu. Provisoirement seulement, selon l’ancien administrateur de la Ligue Jean-Claude Darmon, à l’origine de la vente des droits à Canal+ en 1984 et connu comme le « grand argentier du foot français ». L’homme d’affaires revient pour Le Monde sur cet appel d’offres historique à plusieurs titres.

Comment expliquez-vous cette forte hausse des droits télévisés et ce montant record pour la France de 1,153 milliard d’euros annuels pour le cycle 2020-2024 ?

L’explication est simple : l’Europe avait déjà pris feu [les droits anglais ont atteint 6,92 milliards d’euros pour le cycle 2016-2019]. Nous étions le dernier pays en retard. Là, c’est un coup de poker réalisé par une société hors du circuit, un broker (« intermédiaire »). Je ne voyais pas Mediapro arriver si vite après ses démêlés en Italie [son contrat pour les droits de la Serie A, évalué à 1,05 milliard d’euros par saison, a été annulé par la Ligue Italienne après une plainte déposée par son concurrent Sky Italia]. Que risque Mediapro ? Il a fait un coup de poker génial.

Cette OPA, il l’a faite sur le dos de beIN et de Canal+. Il a ciblé les deux télé-diffuseurs. C’était donc une question de vie ou de mort. La LFP a intelligemment glissé dans l’appel d’offres que tout acheteur pouvait colicencier tout ou partie des lots. Mediapro est donc un broker ! Il fait une OPA psychologique. Je savais qu’on atteindrait le milliard, mais je ne pensais pas que cela viendrait d’une société qui n’a pas de chaîne en France.

Enfin, Free est rentré dans le jeu [50 millions d’euros annuels]. Pas beaucoup, mais c’est bien. Cela lui donne demain la possibilité de peser lourd. Free n’était pas prêt aujourd’hui à faire le coup de poing.

Le vrai enjeu, maintenant, c’est la vente des droits télévisés à l’étranger. On va voir si le monde entier considère que notre championnat fait partie des grands avec l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne.

« Mediapro est condamné à vendre à Canal »

Comment réagissez-vous à l’exclusion de Canal+ ?

J’ai eu un coup au cœur pour Canal+. Si le foot français est là où il est aujourd’hui, il le doit beaucoup à Canal+. Sans son implication au quotidien… La « création » du PSG, c’est quand même Canal+. L’existence de Canal est consubstantielle à celle du foot français.

J’ai participé aux ventes des droits télévisés à Canal+ en 1984 et pendant vingt-cinq ans. Je sais comment ça marche. La partie de poker menteur qui s’est jouée avant l’appel d’offres, Canal n’y a pas cru. Ils ne voyaient pas arriver quelqu’un d’autre, de l’extérieur. Les gens des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) n’étaient pas prêts. SFR ne pouvait pas concourir sur tous les lots. Mais Canal+ a fait un mauvais appel d’offres.

Contrairement à ce que vous pensez, Canal+ n’a pas disparu. Tant s’en faut. Canal aura tout ou une partie de ce jackpot énorme, avec un bénéfice substantiel pour Mediapro. Elle va seulement payer plus cher.

Mediapro est condamné à vendre à Canal parce que je ne pense pas que Mediapro va créer une chaîne de télé. Construire une chaîne de télé, même pour des spécialistes, cela prend beaucoup de temps et ça coûte une fortune colossale. Même s’ils créent une chaîne, ce que je ne crois pas, ils ne pourront pas tout digérer… Rappelez-vous ce qu’a fait SFR avec le football anglais, c’était trop lourd. Il faut des organisations énormes pour faire fonctionner une chaîne comme ça et amortir une telle somme. Une augmentation de 60 % des droits télévisés. c’est énorme. Mediapro a joué au poker.

Jean-Claude Darmon dans ses locaux à Paris, devant un tableau de Combas. / VINCENT LELOUP

Quel regard portez-vous sur Mediapro ?

Mediapro n’est pas un nouvel acteur puisqu’il avait déjà raflé la mise en Espagne pour les droits de la Liga. La société a toujours été sur le marché français, puisqu’elle y a vendu des droits, tout comme aux chaînes espagnoles et allemandes. Mediapro revend. Il devient important dès lors qu’il fait une OPA sur le championnat. En Italie, ça n’a pas été fait avec bonheur. J’espère qu’il le fera en France avec bonheur.

« Avec cette somme, on peut garder nos gamins qui sortent des centres de formation »

La Ligue 1 change-t-elle de dimension ?

Oui. C’est au minimum entre 20 millions et 25 millions d’euros annuels de plus pour un club comme l’AS Saint-Etienne. Le président de Lyon, Jean-Michel Aulas a eu raison de dire : « Cela me permettra d’avoir des joueurs dignes de ce nom. » Sous-entendu : avec mes jeunes, je trouverai des cadres de grande dimension mondiale, grâce à cet argent.

On peut ainsi un peu plus titiller les clubs anglais, italiens, espagnols. Mais surtout, on peut garder nos gamins qui sortent des centres de formation et qu’on se fait piquer à 16-18 ans. Jusqu’alors, on n’avait pas les moyens financiers de les retenir. Lyon a un centre de formation hors du commun. Pour tenir la route, l’OL devait vendre chaque année ses joueurs cadres. Ce n’est pas normal. Ils jouent la LDC [Ligue des champions] et perdent leurs plus gros joueurs. Ce n’est que justice aujourd’hui.