Emmanuel Macron l’a dit et répété. Pas question de faire la moindre pause. Tant que le Parlement suit et que la rue ne déborde pas, le chef de l’Etat veut avancer. Alors que la réforme de la SNCF – dont l’exécutif avait fait un test sur sa capacité à « transformer » le pays – est en passe d’être adoptée, le gouvernement se projette désormais sur les prochains mois.

Le président de la République doit réunir au grand complet, mercredi 30 mai, les ministres et secrétaires d’Etat, à l’occasion d’un séminaire à l’Elysée, pour leur donner le cap du deuxième semestre et plus largement, précise Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, du « temps deux du quinquennat », puisqu’une bonne partie du programme de la campagne a d’ores et déjà été lancé. « Le rythme des réformes ne va pas ralentir », a confirmé le premier ministre, Edouard Philippe, au Journal du Dimanche le 27 mai.

Le programme de travail de ce mercredi est chargé. Et à hauts risques, pour certains chapitres en tout cas. A commencer par la réforme des retraites, qui était une promesse du candidat Macron. Ou la remise à plat des aides sociales, qui n’en était pas une, mais qui a été évoquée ces derniers jours par plusieurs membres du gouvernement. Un chantier auquel l’exécutif veut donner du sens tant il est miné s’il est abordé par la seule entrée de la dépense publique.

Mettre davantage l’accent sur le « protéger »

Emmanuel Macron, qui avait fait campagne sur le « libérer et protéger », a jusqu’ici privilégié la première partie de sa promesse, avec, entre autres, la réforme du code du travail, la transformation de l’ISF en un impôt sur le patrimoine immobilier, la mise en place d’une « flat tax » sur les revenus de l’épargne, ou encore le droit à l’erreur auprès de l’administration. Des mesures qui mettent du temps à porter leurs fruits – le président de la République a l’habitude de dire qu’il faudra deux ans pour pouvoir juger de leur efficacité – et qui ne se voient pas encore dans les chiffres du chômage (qui a reculé à 8,9 % sur la France métropolitaine au premier trimestre 2018, contre 9,7 % au troisième trimestre 2016).

Dans ce contexte, la période qui s’ouvre pour l’exécutif veut mettre davantage l’accent sur le « protéger », même si le gouvernement affirme ne pas l’avoir négligé durant cette première année au pouvoir, citant en défense le dédoublement des classes de CP dans les zones prioritaires, la création de la police de sécurité du quotidien ou encore la mise en place de Parcoursup dans l’enseignement supérieur.

La réforme des retraites, pour laquelle la concertation sera lancée la semaine prochaine, est « une question de cohésion générationnelle », ajoute-t-on à l’Elysée, où l’on n’ignore pas les risques inhérents à un tel chantier. Quant au projet de loi « pacte sur la croissance », présenté en conseil des ministres fin juin, il se penche sur « la place de l’individu au sein de l’entreprise ».

Le séminaire devait aussi évoquer, dans cette logique du « protéger », de nouveaux moyens pour les Ehpad, ainsi que le plan pauvreté, qui sera dévoilé en juillet par la ministre de la santé, Agnès Buzyn. « Aujourd’hui limité aux jeunes et aux enfants, il devrait être élargi », précise l’Elysée. La question de l’Europe, qu’Emmanuel Macron veut « plus protectrice », sera également à l’ordre du jour, alors que l’Italie traverse une crise politique grave.

Divergences entre ministres

Mais c’est le sujet de la poursuite de la transformation du modèle social français qui sera évoqué mercredi et qui sera le plus délicat à élaborer. Il s’agit, explique-t-on à l’Elysée, d’« enrichir la croissance en emplois » – en clair, que un point de croissance crée plus d’emplois qu’aujourd’hui. Un enjeu majeur pour la réussite du quinquennat.

Les ordonnances travail « ont déjà contribué à créer un environnement favorable aux entreprises pour qu’elles investissent et embauchent », poursuit-on dans l’entourage du chef de l’Etat. La baisse progressive de l’impôt sur les sociétés de 33 % à 25 % d’ici à 2022 s’inscrit dans la même logique. Tout comme le projet de loi qui vise à réformer la formation professionnelle, l’apprentissage et l’assurance-chômage, qui devrait être adopté cet été.

C’est désormais un nouveau chantier que le président de la République veut ouvrir, pour parfaire cette démarche : celui des aides sociales. « Il ne s’agit pas de toucher aux aides sociales comme les allocations handicapé, parent isolé ou minimum vieillesse, trois aides que nous avons décidé d’augmenter », se dépêche-t-on de préciser à l’Elysée. « Ni à leur montant, il a été voté », ajoute Benjamin Griveaux. « En revanche, il faut se demander : est-ce que les aides sociales ciblent les bonnes personnes ? Faut-il les simplifier ? », poursuit le porte-parole du gouvernement.

Avant le séminaire de mercredi, qui devait en débattre, plusieurs membres du gouvernement ont abordé le sujet, de manière parfois désordonnée, à l’image des divergences apparues entre le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, et son collègue du budget, Gérald Darmanin. Reste que, au-delà de ces « couacs » de communication, le dossier est bel et bien sur la table du gouvernement. « Le nombre d’allocataires du RSA a augmenté de 50 % en dix ans. Et 50 % d‘entre eux sont au RSA depuis plus de quatre ans. Beaucoup d’entre eux attendent plus de six mois un rendez-vous pour pouvoir être accompagnés vers le retour à une activité. C’est absurde », a ainsi confié Edouard Philippe au JDD. Pour le premier ministre, « on a trop longtemps cru qu’il suffisait d’indemniser des personnes sans ressources pour les réinsérer ».

« L’objectif, ce n’est pas de faire des économies pour faire des économies », Agnès Buzyn

Sur RTL, mardi 29 mai, Gérald Darmanin a estimé qu’il y avait « trop » d’aides sociales en France, et qu’« elles sont parfois contradictoires ». Il faut, a poursuivi le ministre des comptes publics, « revoir » certains dispositifs censés favoriser le retour à l’emploi, qu’il juge trop peu « incitatifs ». Et de citer la prime d’activité attribuée aux travailleurs modestes qui, a-t-il argué, coûte à l’Etat 6 milliards d’euros par an contre 4 milliards en 2016, alors que la croissance est de retour. Une prime que le candidat Macron avait pourtant promis de revaloriser de 50 % et qui est censée augmenter de 20 euros par mois à compter d’octobre…

La transformation du modèle social français voulue par le chef de l’Etat devrait aussi être l’occasion de faire des économies. Certes, les comptes publics se sont améliorés depuis un an, mais c’est avant tout grâce à une conjoncture favorable aux recettes, et cela ne permet pas à la France de respecter ses engagements européens.

Emmanuel Macron s’est engagé à baisser de trois à quatre points, d’ici à la fin du quinquennat, le taux de dépenses publiques rapportées au produit intérieur brut. « L’efficacité de l’action publique sera un sujet du séminaire », dit-on à Matignon. En s’inspirant des conclusions du comité d’experts CAP (Comité action publique) 2022, qui doit être remis en juin, et des propositions des différents ministres, le gouvernement souhaite décider rapidement des mesures qu’il retiendra dans son budget 2019.

« L’objectif, ce n’est pas de faire des économies pour faire des économies, mais de faire des économies sur ce qui ne marche pas et d’investir sur ce qui fonctionne », a avancé Agnès Buzyn, dimanche 27 mai. Pas question de refaire l’erreur des APL, lorsque l’exécutif a décidé, à l’été 2017, de le réduire de 5 euros par mois pour des raisons purement budgétaires alors qu’au même moment il allégeait l’impôt sur la fortune. Ce qui a contribué à l’époque à faire d’Emmanuel Macron, pour une partie des Français, le « président des riches ».

« Depuis vingt ans, les majorités successives ont saupoudré, subventionné, multiplié les plans et organisé méthodiquement l’aumône républicaine d’un Etat-providence sans boussole », écrit le porte-parole du gouvernement dans une tribune dans Le Parisien du dimanche 27 mai, « à ceux qui chaque jour interpellent le gouvernement sur sa jambe sociale et qui voudraient que nous traitions par une dépense publique pavlovienne les symptômes d’un profond malaise social, je veux dire que nous attaquons les inégalités à la racine ». Reste à convaincre les Français.