Editorial du « Monde ». En diplomatie, les succès comme les échecs sont difficiles à décréter. Il y a des étapes, positives ou négatives, le résultat final est souvent long à se dessiner, quand il n’est pas porteur d’effets pervers inattendus. Les choses se jugent donc à l’instant T, avec toutes les précautions d’usage et la nécessaire modestie qu’implique l’exercice.

A cette aune, la conférence internationale sur la Libye, qui s’est tenue mardi 29 mai à l’Elysée, est un succès. Pas forcément « historique » comme l’a qualifiée avec un peu d’emphase l’envoyé spécial des Nations unies, le Libanais Ghassan Salamé, mais inédite assurément, et bienvenue dans un pays encore largement fracturé près de sept ans après la chute du régime de Mouammar Kadhafi.

Les principaux protagonistes du puzzle libyen, les chefs des deux exécutifs et des deux Parlements concurrents, ont souscrit – sans la signer – à la déclaration en huit points stipulant l’organisation d’élections générales le 10 décembre. Ils se sont également engagés à « accepter les résultats des élections » et à « mettre fin progressivement à l’existence du gouvernement et des institutions parallèles », y compris la Banque centrale et les forces armées.

Les réserves sont nombreuses, à commencer par la représentativité relative des participants à la conférence et surtout l’absence d’une Constitution définissant les pouvoirs des futurs élus. Les engagements pris mardi à Paris seront-ils tenus ? Emmanuel Macron ne peut être comptable de la suite : c’est aux Libyens de l’écrire. M. Salamé a salué avec un peu d’ironie « le volontarisme, voire l’entêtement », du président français. On sait que l’Italie prend ombrage de l’activisme français sur un dossier qu’elle considère comme sien, mais le chaos libyen, favorable au djihadisme et à tous les trafics (d’armes comme de migrants), est l’une des principales menaces pesant sur l’Europe. M. Macron a eu raison de forcer l’agenda.

Double gaffe

Si la méthode Macron en diplomatie – un mélange d’opportunisme pragmatique, de volontarisme et d’empathie affichée – n’est pas contestable, le discours, lui, peut se discuter. Dans cet exercice délicat, les paroles comptent autant que les actes. Or, le président français a commis, dans l’entretien qu’il a accordé vendredi 25 mai à BFM-TV, un impair fâcheux. Soucieux de défendre le bilan de son action, jugé parfois maigre par les observateurs, il a cité le dénouement de l’affaire Hariri. « Si la France n’avait pas été là, il y aurait peut-être aujourd’hui la guerre au Liban », a-t-il déclaré, avant de rappeler que sa médiation avait permis de laisser rentrer au pays le premier ministre libanais, « retenu depuis plusieurs semaines » à Riyad.

Double gaffe ! Car ce propos lui a valu les commentaires acides de Libanais, qui lui ont rappelé que le pays du Cèdre n’est plus un protectorat français. Et, en même temps, un communiqué courroucé de l’Arabie saoudite, qui tient à sa version officielle selon laquelle Saad Hariri était libre de ses mouvements lors de son séjour et de sa démission surprise, en novembre 2017 à Riyad. En diplomatie, le silence et la modestie – même feinte – sont d’or.

Personne ne conteste à M. Macron la prérogative de représenter son pays ni de conduire sa diplomatie. En revanche, sa tentation d’être le seul commentateur – flatteur – de sa propre action est aussi contre-productive que malvenue. Sauf à tomber dans ce qu’il décrit lui-même comme « la diplomatie des états d’âme ».