Laurent Paganelli interroge Louis Nicollin, président du club de Montpellier, le 13 mai 2012. / BORIS HORVAT / AFP

Jean-Michel Aulas a « un petit pincement au cœur ». Mais un portefeuille bien plus épais, alors ça compense. Canal+, diffuseur du championnat de France de football depuis 1984, pourrait bien diffuser son dernier match en mai 2020, à l’issue d’un appel d’offres raté dans les grandes largeurs face au concurrent beIN Sports et au nouveau venu espagnol à capitaux chinois, MediaPro. La chaîne pourrait encore revenir par la fenêtre en rachetant des droits à MediaPro, mais ce n’est qu’une hypothèse. Aujourd’hui, la Ligue 1 ne sera plus sur Canal+ dans deux ans. « Je ne vous cache pas que j’ai pleuré », dit Charles Biétry dans L’Equipe. Et nous, pas loin. On vous explique pourquoi.

Avant, il n’y avait rien

Le premier match de football sur Canal+, le 9 novembre 1984, a débuté par une phrase étrange de Michel Denisot, aux commentaires. « Les derniers sceptiques seront convaincus. Football en direct avec le match Nantes-Monaco, grâce à l’accord signé entre le président de Canal+ André Rousselet et le président de la Ligue qui est à mes côtés, Jean Sadoul. »

Les sceptiques étaient sans doute ceux qui ne voyaient pas ce que Canal avait à gagner à se lancer dans le football – au départ, ce n’était pas le plan. Ceux, aussi, qui pensaient que l’expérience télévisuelle du football serait de toute façon incomparable à celle vécue dans les stades. Il suffisait de regarder les retransmissions lénifiantes des matchs sur TF1 et Antenne 2 : prise d’antenne au coup d’envoi, une voire deux caméras dans les grands soirs, commentaires se limitant à citer les joueurs qui touchent le ballon.

Canal+, rapidement, a voulu tout changer. Charles Biétry, à la manœuvre de cette révolution, racontait au Monde en juillet 2017 : « Le foot à la télé était en deux dimensions : horizontale et verticale. Je voulais ajouter de la profondeur, de l’émotion, du son. » Jean-Paul Jaud, le réalisateur, obtient cinq caméras. La retransmission commence un quart d’heure avant le coup d’envoi. Les interviews se font dans le couloir avant l’entrée sur la pelouse, à la mi-temps, dans les vestiaires après le match. Et les commentateurs s’écartaient du ballon pour causer tactique.

Canal+ : 20 ans de Foot [Enregistrement VHS]
Durée : 01:10:31

Des caméras pour voir, des micros pour entendre

Au fil des années, Canal a empilé les outils technologiques pour permettre de mieux vivre la rencontre, jusqu’à l’overdose aujourd’hui. Le téléspectateur, qui suivait un match avec une caméra balayant le terrain de gauche à droite installée dans les tribunes, allait progressivement se rapprocher de la pelouse. A la fois par l’image et par le son, avec des caméras installées un peu partout, jusque dans la lucarne, et des micros posés près du banc, près des buts, dans les tribunes.

Le football sur Canal, c’est la caméra loupe pour suivre au ralenti les dribbles de Ronaldinho, les travellings pour rendre la vitesse des débordements de Christophe Cocard, les micros pour entendre les cris de Fabien Barthez à son mur.

Platini le devin

Avant de rencontrer plus d’avocats que de joueurs de foot, avant de vouloir diriger le football mondial et de s’y brûler les ailes, Michel Platini a été consultant à la télévision. Longtemps. De 1987 à 2006. Et c’était la classe.

Sur la fin, Canal ne le sortait plus que pour les grandes occasions, les soirées Ligue des champions. Il parlait peu, un peu plus qu’Arsène Wenger peut-être. Et souvent pour chambrer, pas du tout comme Wenger. A la mi-temps et après les matchs, on voyait les buts marqués sur tous les terrains d’Europe, et Hervé Mathoux se tournait vers le numéro 10 : « Alors, Michel ? » « Mouais, pas mal. » Quand l’action était extraordinaire, Platoche trouvait toujours le moyen de rappeler que « lorsqu’il y a un but, c’est que la défense a commis une erreur ».

De mémoire de spectateur de football sur Canal+, on n’a jamais vu Platini aussi enthousiaste qu’un jour où le Milan AC a été éliminé. En bon Juventino, il avait frôlé l’orgasme sur le troisième but de Christophe Dugarry avec les Girondins de Bordeaux face au grand Milan, en quarts de finale de la Coupe de l’UEFA 1995.

Car avant d’être en plateau, l’ex-numéro 10 de la Juve avait commenté en direct du stade, aux côtés de Michel Denisot ou Charles Biétry. Dans ce rôle, un coup franc, un de plus, a servi sa légende. 14 février 1993, arrêts de jeu de PSG-Real Madrid, quarts de finale retour de la Coupe de l’UEFA. David Ginola ne s’est pas encore relevé de l’obstruction d’Ivan Zamorano quand Platini, avec toute l’assurance due à son rang, annonce : « Eh ben, voilà le quatrième but. » Coup franc, tête de Kombouaré, quatrième but. Et qualification du Paris-Saint-Germain. « Ça ne peut pas se passer différemment que le but de Kombouaré qui marque de la tête. C’est une tête que je sens, je ne pourrais pas expliquer. »

Magie de la mémoire sélective : Platini a sans doute annoncé des tas de buts qui ne sont jamais venus. Mais cette parole divinatoire de février 1993 est restée.

Psg - Real Madrid 4 - 1
Durée : 04:54

Tududututututu !

Le foot sur Canal, ce sont aussi des sons et des images qui nous replongent dans une ambiance, une époque. Une madeleine de Proust accessible avec un décodeur. Avant la fameuse palette de Philippe Doucet (« la palette à Doudouce »), avant la data, Canal invente les stats dans le foot avec des schémas artisanaux qui sentent bons les débuts de Paint.

Il y a aussi cette scénographie qui met tout de suite dans l’ambiance. Dans les années 1980-1990, l’affiche de la journée est proposée le vendredi soir, juste après Nulle part ailleurs. Tout commence par ce générique où l’hélicoptère survole la ville qui accueille le match. On part du Pont de pierre ou de Notre-Dame-de-la-Garde pour remonter jusqu’au stade de Lescure ou au Vélodrome. Une signature.

Tout comme ce jingle sonore aussi culte que kitsch, le fameux « tududututututu » qui annonce un but à Caen, Toulouse ou Saint-Etienne les soirs de multiplex, quand tous les matchs ont lieu à la même heure. Parfois recyclé en sonnerie de portable, le « tududututututu » est l’oracle des dernières journées. « Chaque supporter l’attend comme la redoute, expliquait à Ouest-France Eric Besnard, présentateur de l’émission pendant plus de dix ans. Elle est la marque d’un moment fort. On l’entend avant de savoir qui a marqué, ça ajoute à sa force, car cette attente est terrible. Vous avez la musique qui arrive, l’image du stade, et ensuite vous savez ce qu’il s’est passé… »

Musique du multiplex Canal+
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Paga et les « grande jugador »

Laurent Paganelli n’a pas toujours été ce GO des bancs de touche, bronzé en toutes saisons et qui donne parfois l’impression de découvrir le nom des deux équipes commentées. Au début des années 1980, il est un Kylian Mbappé à nuque longue, le Mozart de l’AS Saint-Etienne. Mais sa carrière ne tient pas les promesses de son talent. Il raccroche les crampons en 1991, chez lui à Avignon, avant que Canal ne lui propose de devenir son homme de terrain six ans plus tard. Il invente alors un style et pose un regard « décalé » diront ses fans, « gênants » rétorqueront ses détracteurs.

Il y a, bien sûr, les questions à rallonge et sans vraiment de question d’ailleurs, toujours ponctuées de son célèbre « en tous les cas, on te le souhaite ». Mais Paga, c’est surtout une pratique très personnelle des langues étrangères et complètement décomplexée. En anglais, avec Zlatan Ibrahimovic et Joe Cole (« what’s a goal Joe Cole »), en portugais avec Pauleta, en espagnol avec Edison Cavani (ce « grande jugador ») ou dans un esperanto à sa sauce avec Mario Balotelli entre l’italien, l’espagnol, l’anglais et l’avignonnais.

😂😂BEST OF - PAGANELLI 😂😂 CE MEC EST TROP CHAUD 😂😂
Durée : 03:34

Des vestiaires et des hommes nus

Avec Canal, le téléspectateur entre dans l’intimité des joueurs. Il peut presque sentir l’odeur de renfermé du vestiaire, prendre sa douche avec Jean-Pierre Papin ou réclamer la « double prime » au président Claude Bez. La première intrusion des caméras remonte au 2 février 1985. Tours reçoit Toulon, où un certain Rolland Courbis achève sa carrière. Ce dernier raconte que Charles Biétry « l’a bassiné toute la journée pour le faire ». Le journaliste dit, lui, « que ce sont trois joueurs toulonnais (dont Courbis) qui le lui ont proposé ».

Peu importe, le spectacle des vestiaires va désormais prolonger celui du terrain et donner quelques scènes cultes comme celle de Jean-Louis Campora, président de l’AS Monaco fêtant le titre en peignoir de bain grand ouvert, dans le bassin du vestiaire. Et bien d’autres de joueurs en slip, et parfois sans. Ces dernières années, les portes des vestiaires s’ouvrent moins facilement. L’époque est devenue plus sérieuse, Canal un peu moins.

Émission spéciale 1000ème match Canal (Extrait)
Durée : 03:44