Après 40 années, 7 mois et 5 jours d’incarcération, Michel Cardon a retrouvé la liberté vendredi 1er juin peu avant 9 heures. « Il a besoin de respirer, a confié son avocat, Eric Morain. Il a soif de nature après tant d’années passées en prison. »

Le tribunal d’application des peines d’Arras a décidé, le 30 mars, sa libération conditionnelle. L’homme, âgé de 67 ans, avait été « oublié » en prison, selon les propres termes de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté de Lille, qui s’est étonnée qu’aucun projet d’exécution de peine n’ait été imaginé à son sujet.

Depuis vingt ans, il aurait pu réclamer une liberté conditionnelle. Un avocat parisien a eu vent de son histoire par le biais d’un article de La Voix du Nord, en 2016, et depuis s’est battu pour le faire sortir de la prison de Bapaume, où Michel Cardon est incarcéré depuis le 5 juin 1996.

L’histoire de ce détenu a débuté dans la nuit du 25 au 26 octobre 1977. L’homme, alors âgé de 27 ans, et accompagné de son comparse Jean-Yves Defosse, cambriole un de ses voisins, chemin de la Flaque à Amiens. Réveillé par le bruit des deux cambrioleurs, le propriétaire de la maison, un sexagénaire, est alors assassiné. Cardon et Defosse sont interpellés et incarcérés.

Les deux malfrats, condamnés à la prison à perpétuité, évitent de justesse l’échafaud. Jean-Yves Defosse décède en prison au bout de quelques années. L’Amiénois Michel Cardon commence alors un long parcours carcéral, de la prison de Caen à Bapaume, en passant par Château-Thierry, Fresnes, Loos, Clairvaux ou Ensisheim. Placé en foyer dès son plus âge, comme ses quatre frères et sœurs, Michel Cardon, illettré, est isolé du reste de sa famille qui l’oublie. Personne ne vient le voir derrière les barreaux durant toutes ces années.

Première visite

Son premier visiteur en prison est Joël, l’un de ses anciens voisins de cellule. Une visite après trente-huit ans d’incarcération. « Michel Cardon était en cellule individuelle depuis vingt ans, mais il avait sympathisé avec Joël », explique son avocat. C’est Joël qui, une fois sorti de la prison de Bapaume, lui rend visite et médiatise le cas de Michel Cardon.

Après cinq requêtes rejetées (les experts relevant à l’époque un risque de récidive toujours présent, selon le parquet d’Arras), une demande de libération conditionnelle est déposée en 2016 par Me Morain. Le 30 mars 2018, la nouvelle tombe : le tribunal d’application des peines d’Arras accorde à l’un des plus anciens détenus de France sa remise en liberté « sous condition du bon déroulement d’un placement à l’extérieur ». Les expertises et évaluations pluridisciplinaires les plus récentes ont relevé « une dégradation importante des fonctions cognitives du détenu, lit-on dans la décision de justice. Le dernier expert n’a retrouvé aucun élément en faveur d’un risque de récidive. »

Michel Cardon va être accueilli dans un centre d’hébergement et de réinsertion du Val-d’Oise, où il devra se soumettre à des soins psychologiques et psychiatriques. Lors de sa troisième permission de sortie, il y a une semaine, Michel Cardon a passé trois jours et deux nuits dans cet établissement, qui accueille des personnes en réinsertion. Après un AVC en 2012, l’homme est diminué. Il est sourd d’une oreille, aveugle d’un œil, et son élocution est rendue difficile par les séquelles. « Je l’ai accompagné lors de sa première permission de sortie dans cette structure, raconte son conseil. Il a cueilli des fleurs, il y avait un grand soleil. Depuis, il marche de mieux en mieux, mais c’est vrai que la prison, ça rapetisse. »

« Problème d’accompagnement »

Pour le procureur d’Arras, André Lourdelle, « le problème de Michel Cardon n’est pas celui de l’oubli, mais de savoir ce qui s’est passé entre 2009 et 2018 ». Les demandes de libération de ce détenu ont été rejetées. Or se pose la question du vieillissement des personnes incarcérées. « Nous ne savons pas gérer les problèmes de vieillissement, affirme M. Lourdelle. Il y a un problème d’accompagnement à la sortie de détention de ces vieux détenus. »

En octobre 1977, lorsque Michel Cardon est entré en prison, le smic passait de 9,58 à 9,79 francs, Poulidor faisait ses adieux à la compétition cycliste et Georges Lucas sortait le premier film de la saga Star Wars« Oui, le monde a changé, souligne Me Eric Morain. Il va devoir faire l’apprentissage de la liberté, apprendre à faire des choix, ce qu’il n’a pas fait depuis quarante ans. » Michel Cardon a tout à réapprendre, « même à ouvrir une porte », raconte son avocat.

Prochaine étape : être gracié. « Je n’ai jamais eu de réponse à ma demande de grâce présidentielle faite à Emmanuel Macron en février et qu’aujourd’hui je maintiens », regrette Eric Morain. Administrativement, Michel Cardon est toujours détenu sous le numéro d’écrou 7147 jusqu’en 2022.