Hubert Mounier, le chanteur de L’Affaire Louis’ Trio, à Lyon, en 2002. / BEP/LE PROGRÈS/MAXPPP

Le 17 juin 2016, Benjamin Biolay monte sur la scène du Grand Théâtre de Fourvière, accompagné d’une vingtaine de musiciens, pour la tournée de son album argentin ­Palermo Hollywood. Le chanteur est alors partagé entre l’ivresse de la communion dans ce cadre beau comme l’antique et la peine. Six semaines plus tôt, il a annoncé la mort, le 2 mai, de celui qui était un ami et un « mentor » : Hubert Mounier, la voix chaude du groupe ­L’Affaire Louis’ Trio, dont le cœur a lâché à l’âge de 53 ans. A son aîné, Biolay rend un hommage appuyé à Fourvière en reprenant cinq de ses chansons. « C’était très émouvant. Pour moi, très dur, se souvient-il. La partie la plus âgée de mon public, des gens de Lyon qui avaient connu ces moments où la ville était fière d’avoir un groupe, était chaud patate sur ­Cabane en rondins. Sur Succès de larmes, tout le monde chantait le refrain avec moi. »

En adieu, le natif de Villefranche-sur-Saône avait interprété Mobilis in Mobile, chanson-titre du plus fameux album de L’Affaire Louis’ Trio. Pour sa troisième participation consécutive aux Nuits de Fourvière, Benjamin Biolay prolonge le salut, le 19 juillet, en jouant le disque dans son intégralité. Parus en 1993, sous une pochette sous-marinière en clin d’œil au Black Sea d’XTC, les 17 titres de Mobilis in ­Mobile, quatrième album studio de L’Affaire Louis’ Trio, réussissaient l’alchimie entre deux grandes passions d’enfance de Mounier, l’univers de Jules Verne et les Beatles. Nautilus et sous-marin jaune. « A l’école, il avait gravé “Hubert = McCartney” au couteau sur un bureau », sourit Biolay.

« Hubert était un personnage romanesque au possible, il vivait dans une bulle temporelle. Chez lui on avait l’impression d’être dans un épisode de Madame est servie », se souvient Benjamin Biolay

« Malgré tout l’amour que j’ai pour lui, je ne ferais pas cela s’il ne s’agissait pas d’un bon, prévient-il néanmoins. Hubert est un des auteurs-compositeurs-interprètes les plus sous-estimés de la musique française. D’autres que moi l’ont dit, Alain Souchon par exemple. » Biolay n’hésite pas à qualifier Mounier de « maître ». N’est-ce pas légèrement excessif ? « Il avait envie de transmettre son savoir. Il m’a appris une certaine rigueur, à privilégier la mélodie, les mots un peu courts. Il est, avec Trenet, un de ses modèles, l’auteur-compositeur français dont je me sens le plus proche. »

Mounier et Biolay, c’est une affaire lyonnaise. Lorsqu’ils se rencontrent pour la première fois, avant la sortie de Mobilis in Mobile, le premier est connu sous le pseudonyme douteux de Cleet Boris, un chanteur zazou à houppe, également auteur de BD, qui semble évoluer dans des cases à ligne claire. Flanqué de son frère guitariste Vincent (alias Karl Niagara) et du multi-instrumentiste François Lebleu (dit Bronco Junior), il est devenu une célébrité nationale grâce à des clips colorés et à des tubes latins et chaloupés (Tout mais pas ça, Chic planète, Bois ton café), souvent renforcés de cuivres. Le jeune Biolay est lui-même de la confrérie des souffleurs, tubiste puis tromboniste après avoir intégré le conservatoire de Lyon.

« On est devenus intimes, j’étais le premier à écouter ses chansons, à donner mon avis, raconte-t-il. Hubert était un personnage romanesque au possible, il vivait dans une bulle temporelle. Chez lui on avait l’impression d’être dans un épisode de Madame est servie. » Avec, comme chez Trenet, la mélancolie sous l’apparente légèreté : « Les costumes trois pièces qu’il portait au début, ce sont ceux de son père assassiné, Max », qui eut le malheur de se trouver en 1975 au bar La Trinité lors d’un règlement de comptes, drame évoqué dans la chanson Balle perdue (1990).

Un modèle de pop à la française

Chez les gones, « Hubert faisait partie du décor, on le voyait souvent avec son petit cartable, dans la presqu’île, faire ses courses à l’épicerie Maréchal ». Sa réputation d’hurluberlu peut aussi être pesante depuis que L’Affaire Louis’ Trio a eu la mauvaise idée de se présenter comme un groupe de « rock rigolo à tendance cha-cha » : « On lui tapait sur l’épaule en disant “Ça va, Luis Rego ?”, on lui parlait comme à un comique de la télé alors qu’il sortait du studio et s’était pris la tête avec des trucs romantiques et profonds. Il avait refusé d’aller à Paris pour des raisons tout sauf critiquables mais, s’il n’avait pas fait ce choix de vie, sa carrière aurait été tout autre. Tout se passe entre deux portes à Paris. Moi, si je n’avais pas rencontré Salvador pour Jardin d’hiver… »

Biolay s’exercera aux arrangements, discipline dans laquelle il excellera, sur Europium 97, ultime chapitre du trio devenu duo, après fâcherie entre les frères Mounier. Débarrassé de Cleet Boris, Hubert ne lancera sa carrière solo qu’en 2001 avec Le Grand Huit, album intime et sobre de sortie de tunnel alcoolisé. « Il s’est arrêté pendant cinq ans, s’est barré en Ardèche, puis il a couru après ces cinq années qui ne sont jamais revenues, relève Biolay, qui aura participé à la réalisation des trois disques solo de son ami. L’insuccès a dû le détruire. Les chansons ne servent à rien si elles ne sont pas écoutées. Il y avait une colère en lui souvent dirigée vers les gens qu’il aimait le plus. »

Pourquoi Mobilis in Mobile ? « C’est l’album qu’il a le plus vendu – un Disque d’or –, il s’écoute en entier et marche bien en live », répond Biolay. A une époque où rares étaient les Gaulois osant s’aventurer sur le terrain de jeu des Brittons, il demeure surtout un modèle de pop à la française, avec Fous à lier (1992) et Post-Partum (1995) des Innocents. Biolay sera entouré d’invités, des cordes du conservatoire de Lyon et de musiciens ayant participé à l’aventure L’Affaire Louis’ Trio, groupe maudit. L’hommage intervient en effet dix ans après la mort de François Lebleu d’une attaque cérébrale à l’âge de 42 ans, « un des mecs les plus doués que j’ai rencontrés dans la musique », ajoute Biolay : « Il savait jouer de tout à toute vitesse, claviers, batterie, basse, quand Vincent était le sculpteur à la guitare. ­Hubert, c’était le metteur en scène. »

Benjamin Biolay, « Mobilis In Mobile ». Le 19 juillet, au Grand Théâtre. 38 €.