Le propriétaire du club de Chelsea, Roman Abramovich, lors d’un match au Stamford Bridge Stadium de Londres. / Matt Dunham / AP

Le nouveau stade de Chelsea à un milliard de livres (1,14 milliard d’euros) pourrait constituer le premier dommage collatéral spectaculaire de la tension entre le Royaume-Uni et la Russie depuis la tentative d’empoisonnement, le 4 mars à Salisbury de l’ancien agent double Sergueï Skripal et sa fille Youlia. Et symboliser indirectement, une riposte de Moscou.

Le club de football de Chelsea a annoncé jeudi 31 mai sa décision de « suspendre » la construction du nouveau stade de 60 000 places qui devait remplacer l’actuel, de 41 600 places, sur le même emplacement, à Stamford Bridge, dans l’ouest londonien à l’horizon 2021-2022. Ce renoncement apparaît comme la conséquence du délai d’attente imposé par les autorités britanniques pour renouveler le visa du milliardaire et Roman Abramovich, ami de Vladimir Poutine et propriétaire depuis 2003 du Chelsea Football Club. « Abramovich ne veut pas investir dans un projet majeur, dans un pays où il n’est pas autorisé à travailler », résume BBC sport.

Célèbre oligarque

Longtemps bienvenu à Londres, adulé par les tabloïds – le Sun le surnomme affectueusement « Red Rom » – pour l’argent qu’il déverse dans le foot, le plus célèbre des oligarques au Royaume-Uni a construit son immense fortune sous la protection du président russe. En avril, son visa a expiré alors qu’il se trouvait hors du pays et l’on s’est étonné de son absence à Wembley, le 20 mai, pour la finale de la FA cup. Le renouvellement de ce document indispensable à ses activités londoniennes est soumis aux nouvelles règles britanniques introduites en avril 2015 qui exigent des demandeurs la fourniture de renseignements sur l’origine de leur fortune.

Au Royaume-Uni, quiconque investit deux millions de livres se voit délivrer un visa de 40 mois. Mais depuis 2015, un tel visa peut être refusé si les autorités britanniques estiment que l’argent ne provient pas d’une source légale ou que l’origine de ces fonds est tel que délivrer un visa « nuirait à l’intérêt général ». Downing Street n’a émis aucun commentaire au sujet du « délai » imposé à M. Abramovich, se contentant d’indiquer qu’il serait « logique » que certains visas ne soient pas renouvelés en application de ces nouvelles règles. Depuis leur introduction, le nombre de demande de visas « investisseurs » a chuté de 84 %.

« Compétition inamicale »

Lundi 28 mai, le ministre israélien de l’intérieur a fait savoir que le propriétaire de Chelsea s’était vu accorder la citoyenneté israélienne en tant que juif. En Israël, où il est propriétaire d’un ancien hôtel dans la capitale Tel Aviv, il est exempté d’impôt pendant dix ans et n’a pas à justifier de l’origine de ses fonds. Le passeport israélien lui permet de se rendre au Royaume-Uni sans visa pour de courts séjours, mais pas d’y travailler.

Le Kremlin, pour sa part, a protesté dès le 21 mai contre le traitement infligé par Londres au milliardaire. Toute tentative de sanctionner des hommes d’affaires russes est « une manifestation de compétition inamicale, injuste et illégale violant toutes les règles de l’Organisation mondiale du commerce », a affirmé Dimitry Peskov, porte-parole de la présidence russe. Le ton particulièrement vif du rapport de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des Communes publié le 21 mai n’était pas fait pour apaiser la situation. Les députés n’ont ménagé ni le gouvernement britannique, ni Moscou.

« Il n’y a aucune excuse pour que le Royaume-Uni ferme les yeux alors que les kleptocrates du président Poutine et les violeurs des droits de l’homme utilisent l’argent blanchi à Londres pour corrompre nos alliés, affaiblir nos partenariats et éroder la confiance dans nos institutions », écrivent les députés avant de dénoncer le rôle de la City de Londres comme un « lavomatic » à argent sale russe.

« Le Royaume-Uni doit être clair sur le fait que la corruption provenant du Kremlin n’est plus la bienvenue sur nos marchés et que nous agirons », insistent les élus. Une autre commission parlementaire doit enquêter sur l’aide apportée par des sociétés de conseil britanniques, après la mise en cause de la firme Linklaters dans l’introduction à la Bourse à Londres de la société EN + de l’oligarque Oleg Deripaska.

Frappe symbolique

Au lendemain de la tentative d’empoisonnement visant Sergueï et Youlia Skripal, Theresa May avait annoncé une série de mesures de rétorsion et de nouvelles sanctions ont été décidées par une vingtaine de pays. Mais le non-renouvellement du visa de M. Abramovich, même si elle n’est pas revendiquée comme telle, frappe symboliquement haut et fort. La riposte visant le stade de Chelsea se situe au même niveau, surtout à quelques semaines du coup d’envoi de la Coupe du monde de football en Russie, où 30 000 supporters britanniques sont attendus.

Le message potentiellement adressé par Moscou pourrait ne pas se limiter à la « suspension » du projet du nouveau stade de Chelsea. Fordstam Ltd, la holding qui gère le stade, est endettée pour 1,1 milliard de livres (1,25 milliard d’euros) via des prêts consentis par M. Abramovich. L’ironie veut que Sergueï et Youlia Skripal, longtemps présentés comme en danger de morts, sont sortis de l’hôpital. Le 23 mai, dans une vidéo très apprêtée, la fille de l’ancien espion, âgée de 33 ans, qui a passé 20 jours dans le coma, a affirmé souhaiter « dans le long terme » rentrer en Russie. Depuis qu’elle est en mesure de s’exprimer, elle a refusé poliment tout contact avec l’ambassade à Londres et vit dans un lieu tenu secret par les autorités britanniques.