« Les femmes sont des partenaires sexuelles comme les autres, aussi actives, techniques et compétentes que les autres. » / KEYSTONE-FRANCE

Marie, couche-toi là. Passive. Etoile de mer. Bonne à regarder le plafond. Ah, ça, les femmes ont le beau rôle ! Il leur suffit d’écarter les jambes. Aucune initiative, aucune pression. Ne déchargeant pas, elles ne sont pas en charge – le rapport sexuel est une chose qui leur arrive, point barre, fin de l’histoire. Ah bon ? De l’autre côté du saint pénis, le son de cloche diffère.

Parmi les compétences sexuelles féminines spécifiquement liées à la pénétration vaginale, commençons par mentionner la plus évidente : celle qui consiste à se donner un orgasme. Car sans vouloir blesser le narcissisme des tenants de la théorie des « hommes qui se tapent tout le boulot », rappelons que le coulissement du pénis dans un vagin n’est pas la méthode idéale pour propulser la femelle humaine au septième ciel. Si votre étoile de mer personnelle se caresse pendant la pénétration, ou contracte ses muscles, ou utilise l’hyperventilation, ou choisit une position permettant la stimulation du gland du clitoris… c’est qu’elle se tape déjà sa part du boulot.

Cette première mise au point opérée, passons aux autres compétences féminines passées sous silence. Et commençons avec une pente glissante, puisque même le missionnaire le plus basique requiert un minimum de lubrification – du moins si on aime son petit confort (ceux qui n’aiment pas le confort sont priés de retourner manger des clous rouillés). Cette lubrification vaginale peut s’opérer de manière pulsionnelle, parce que le partenaire porte une jupette de gladiateur, parce que ce dernier donne sa langue au chat, ou parce qu’il est 13 h 44. Le reste du temps, notamment quand la routine de couple est installée, c’est sur la femme que repose la responsabilité de cette lubrification, volontiers mise à mal par des galipettes trop rapides, des changements hormonaux post-grossesse, ou des situations stressantes.

Le sujet est d’autant plus crucial qu’un cercle vicieux peut s’installer : des rapports douloureux, créant une anxiété, diminuant les sécrétions, entraînant d’autres rapports douloureux. Après la ménopause, ça se complique : la sécheresse vaginale est un problème pour la moitié des femmes (Université de San Francisco, 2011). Rappelons donc les basiques : on garde sa plaquette de beurre pour préparer le kouign-amann et on demande au pharmacien un gel adapté (à base d’eau pour une utilisation avec des préservatifs ou des jouets, à base de silicone pour des plaisirs peau contre peau).

Responsabilité de limiter la casse

La compétence féminine va également jouer un rôle crucial dans le choix des positions, d’autant que dans le cadre d’une culture persistant à valoriser les à-coups bourrins (« Je vais lui casser les pattes arrière, elle ne pourra plus s’asseoir »), c’est aux femmes qu’incombe la responsabilité de limiter la casse. Ce souci les place automatiquement en charge de la profondeur des pénétrations… sachant qu’on peut être gourmande ou douillette. Ainsi, pour compenser un petit pénis, l’amante expérimentée choisira des positions à pénétration profonde (Andromaque, levrette) ou proposera une sodomie.

Le cas des gros formats offre des variétés intéressantes de compensation : on peut opter pour des positions où les cuisses ou les fesses bloquent partiellement l’accès au vagin, comme le missionnaire ou les petites cuillers, ou se concentrer sur les pages du Kamasutra permettant de garder le contrôle (comme l’Andromaque, une fois encore). Une autre stratégie consiste à poser sa main sur le pubis du partenaire, ou carrément autour de la base du pénis, pour interdire une introduction complète.

Les paresseuses préféreront impressionner leur partenaire sans transpirer, avec leurs mains

Une fois la pénétration enclenchée, peut-on se reposer sur ses lauriers ? Pas nécessairement. L’amante participative peut changer complètement la donne en utilisant sa musculation vaginale ou ses mains. Dans le premier cas, pas de miracle, il faut un périnée en béton, donc de l’entraînement, donc des efforts, du sang et de la sueur (bon, d’accord, le sang n’est pas absolument nécessaire). Des tonnes d’objets et de techniques spécialisées sont disponibles en ligne. Trop de boulot ? On ne vous le fait pas dire. Mais, outre la satisfaction du mâle, les orgasmes sont plus intenses… ça peut se tenter !

Les paresseuses préféreront cependant impressionner leur partenaire sans transpirer, avec leurs mains. Comment faire ? Même si toutes les positions permettent un accès manuel aux parties génitales, c’est clairement quand la femme est au-dessus que les contorsions sont les plus aisées. La fière Andromaque peut ainsi masturber la base du pénis pendant la pénétration. Elle peut masser les testicules, les tirer légèrement, les enserrer. Elle peut titiller la prostate, utiliser un godemichet ou un vibrateur sur la zone anale de son partenaire (sauf souplesse vertébrale extrême, ce sera plus facile en se retournant en position du cheval renversé, celle que les Anglo-Saxons appellent reverse cowgirl). Elle peut imposer son rythme, stimuler les tétons de son mâle, lui agripper les poignets, le tenir à la gorge, sortir son martinet favori, ou lui chanter une berceuse. Parce qu’elle a deux mains, elle peut même se livrer à des combinaisons des éléments ci-dessus.

Les femmes et déboulonnent nos paresses intellectuelles

Enfin, rappelons que les compétences théâtrales des femmes (expression plus adéquate que les très consensuelles et rassurantes « compétences émotionnelles ») forment la clef de voûte d’une sexualité active. Face à des idéaux virils interdisant l’expression du plaisir et des sentiments des hommes, la féminité traditionnelle autorise qu’on s’amuse, qu’on jouisse et qu’on le dise. On placera dans cette catégorie les mensonges et simulations : ces techniques permettent de valider la confiance de son partenaire autant que de l’emmener vers la jouissance – autant de super-pouvoirs à mauvaise réputation, mais qui mériteraient d’être mieux considérés. Sans ces permissions-là, la pénétration vaginale ressemblerait à l’imbrication de deux corps dans un silence de mort, avec peut-être un râle maîtrisé comme seul point d’orgue. Soupirer, rougir, gémir, trembler : du rire aux larmes, citoyens !

Revenons pour conclure à notre dictionnaire. Selon le Larousse, la passivité consiste à « subir les événements sans réagir, suivre docilement les ordres, ne jouer aucun rôle actif ». Est-ce réellement la vision que nous avons de la sexualité féminine ? La fameuse « réceptivité » ne vaut guère mieux : il s’agit de « se montrer particulièrement disposé à écouter les autres ou à subir l’influence de quelqu’un, quelque chose ». Ces mots, d’une violence symbolique inouïe, sont indignes de nos réalités quotidiennes. Et pourtant. Les compétences sexuelles des femmes, leur amplitude d’action, leur pouvoir de décision sont niés. Leur expression se trouve sous nos yeux, mais reste entourée d’un aveuglement culturel stupéfiant. Ainsi les techniques féminines d’accès au plaisir rejoignent-elles la masse du travail invisible des femmes et de la charge mentale.

Seulement, nous sommes en 2018. Les femmes cessent de se taire, et déboulonnent nos paresses intellectuelles. A l’heure de raconter notre côté de l’histoire, il n’est pas absurde de réclamer de nouveaux mots, plus équilibrés, loin des facilités binaires qu’on voudrait nous imposer. Passivité féminine « congénitale », domination « spontanée » des hommes, réceptivité sexuelle « naturelle » des femmes : nos concepts en disent long sur une certaine arrogance masculine, désireuse de s’arroger toute la responsabilité du rapport. Cette condescendance ne correspond pas à la réalité. Les femmes sont des partenaires sexuelles comme les autres, aussi actives, techniques et compétentes que les autres : est-ce si compliqué de l’admettre ?