JESSY DESHAIS

Quel monde voulons-nous pour demain ? Sur cette question se sont ouverts, en janvier, les Etats généraux de la bioéthique, première séquence de la révision de la loi bioéthique. A l’issue de ces débats citoyens, menés un peu partout en France et accompagnés d’une centaine d’auditions d’experts, le Comité consultatif national d’éthique doit rendre, lundi 4 juin, une synthèse de cette vaste consultation à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, étape préalable à l’élaboration du projet de loi qui sera débattu à l’automne.

Quel monde voulons-nous pour demain ? Sans surprise, les thèmes les plus abordés lors de ces états généraux ont concerné la procréation médicalement assistée et la fin de vie. Mais ces sujets sociétaux ne doivent pas occulter d’autres perspectives ouvertes par les progrès de la science et de la technologie, qui alimentent eux aussi la réflexion sur l’éthique du vivant. Les chemins que défrichent les manipulations génétiques, la médecine prédictive ou l’intelligence artificielle auront des impacts insoupçonnés sur l’avenir de nos sociétés, voire de l’humanité. Il importe donc d’y réfléchir dès aujourd’hui.

Vertiges

La sociologue Irène Théry, la juriste Laurence Brunet, le généticien Axel Kahn, le chercheur en informatique Claude Kirchner, la philosophe Corine Pelluchon, la sociologue des religions Céline Béraud, tous insistent sur la nécessité de mener les débats de la manière la plus profonde et la plus sereine possible, au-delà des clivages autour de ces questions qui, trop souvent, déchirent le tissu social.

Les nouvelles possibilités de la science et de la technique donnent le vertige : vertige des origines (de qui suis-je l’enfant ?), vertige de la différence (homoparentalité), vertige de la prédiction (tests génétiques), vertige de l’évolution de notre propre espèce (homme augmenté). Face à ces bouleversements, la réflexion éthique pose la question des droits : celui de la femme à disposer de son corps, celui de l’enfant à connaître ses origines, celui de chacun à choisir le moment de sa mort ou à contrôler l’usage de ses données personnelles. Elle force sans cesse le questionnement sur des conflits de valeurs, nous obligeant à penser en termes de tension permanente – entre intérêts individuels et intérêt général, entre ce qui constitue le plus intime de nos vies et les choix collectifs qui s’y mêlent. L’éthique du vivant est un observatoire de perplexité. Nous vous proposons de l’explorer ensemble.

Notre droit nous a figés dans une vision fausse du don de gamètes, souligne la sociologue. Elle pense qu’il faut inciter les parents à sortir du secret pour donner à l’enfant l’accès à ses origines.

Pour la juriste, les réticences françaises envers la gestation pour autrui viennent de la façon dont notre législation, s’inspirant du droit romain, définit le père et la mère.

Manipulations du génome humain, transhumanisme : pour le généticien, l’usage inconsidéré de ces technologies, forcément inégalitaires, serait philosophiquement critiquable.

Nous laissons sur Internet, parfois sans le savoir, beaucoup d’informations sur notre état de santé, relève le chercheur. Il importe d’informer chacun sur ce risque d’atteinte à notre vie privée.

Faut-il dépénaliser l’euthanasie ? Le suicide assisté ? La philosophe examine les risques et les écueils d’une législation sur la fin de vie.

Le mouvement de La Manif pour tous ne représente pas l’opinion de tous les catholiques, qui semblent désormais mieux accepter l’ouverture de la procréation médicalement assistée à toutes les femmes, note la sociologue des religions.