Ciel orageux au-dessus de vignes dans le Médoc, le 3 juin 2018. / NICOLAS TUCAT / AFP

Des orages particulièrement violents s’abattent sur la France depuis le début du mois de mai. Du jamais-vu depuis au moins le début des années 2000, au moment où Météo France s’est dotée de nouveaux capteurs lui permettant de mesurer les impacts de foudre. Ces derniers ont retenti deux fois plus que lors du précédent épisode remarquable de 2009. Ces derniers jours, des milliers d’hectares de vignes ont été ravagés par la grêle dans le Bordelais, en Gironde. Dimanche 3 juin au soir, l’équivalent d’un mois de pluie s’est abattu en une demi-heure sur Morlaix, dans le Finistère. Le centre-ville a été submergé.

L’épisode orageux risque de se poursuivre en France pendant plusieurs jours

Lundi 4 juin, l’alerte de Météo France concernait encore les Côtes d’Armor, l’Ille-et-Vilaine, la Mayenne, le Morbihan, l’Orne, le Calvados, la Sarthe et l’Eure-et-Loir. Dans le nord-est, le risque orageux le plus important est attendu en soirée et au cours de la nuit mardi et concerne le Haut-Rhin, les Vosges, la Haute-Marne, l’Aube, l’Yonne, la Cote d’Or, la Haute-Saône, le Doubs et le Territoire de Belfort.

Par endroits, à travers le territoire, de 20 à 50 mm de pluie sont tombés en une heure et les rafales de vent ont parfois dépassé les 100 km/h. Aucune région n’y a échappé, des Hauts-de-France à l’Occitanie, en passant par l’Ile-de-France ou la Bretagne. Et l’épisode orageux printanier n’en est pas à son terme. « Nous pouvons nous attendre à un regain de l’activité orageuse durant ces sept prochains jours », prévoyait, lundi, Emmanuel Demaël, prévisionniste à Météo France.

Cocktail favorable

Les prémices de cet épisode agité se sont dessinées entre le 6 et le 9 mai, concomitantes avec un réchauffement des températures. Depuis le 21 mai, la cadence est soutenue et « hormis quelques accalmies, l’étau ne s’est jamais desserré, observe Emmanuel Demaël. Le mois de mai 2018, dans son ensemble, est de loin le plus orageux enregistré depuis les années 2000 et l’installation des capteurs foudre. »

En mai 2009, le précédent record, 84 000 impacts de foudre ont été enregistrés en France métropolitaine. En mai 2018, la foudre a frappé à près de 182 000 reprises. Pour retrouver de tels chiffres, « il faudrait certainement remonter, au moins, jusqu’en 1971 », estime le prévisionniste.

Cet épisode est, d’après le prévisionniste de Météo France, provoqué par « un cocktail favorable ». « Les hautes pressions continentales se sont installées durablement au centre et au nord de l’Europe, explique Emmanuel Demaël. Elles empêchent les circulations dépressionnaires des moyennes latitudes de s’établir de façon normale à cette période de l’année. A la place, ces dépressions alimentées en air froid en altitude sont guidées vers l’ouest du bassin méditerranéen et circulent sur le golfe de Gascogne, entre la péninsule Ibérique et l’Italie. L’interaction entre les zones dépressionnaires et l’air chaud et humide des basses couches de l’atmosphère favorisent l’instabilité et la formation de nuages orageux. » Les nuages d’orage, les cumulonimbus, se forment, en effet, en cas d’atmosphère instable, avec de l’air chaud près du sol et froid en altitude.

Intensité des pluies

L’orage est-il un phénomène exacerbé par les émissions de gaz à effet de serre ? Le climatologue Hervé Le Treut ne se prononce pas. « Un épisode orageux peut toujours advenir, une année, sans que ce soit lié au réchauffement climatique dû aux activités humaines, répond-il. Cet épisode orageux, en lui-même, n’est pas exceptionnel, ni inconcevable. En ce moment, toutes les conditions sont réunies pour un orage. »

Une étude américaine, publiée en novembre 2014 dans les pages de Science, laisse entrevoir une augmentation globale du nombre de coup de foudre de près de 12 % pour chaque degré de réchauffement climatique. Le consensus scientifique n’est, toutefois, pas encore acquis sur une augmentation de la fréquence des orages due aux dérèglements du climat.

Si ces épisodes venaient « à se répéter, à s’accélérer, nous pourrions alors faire le lien, estime Hervé Le Treut. Il n’est pas impossible qu’il existe un rapport entre le réchauffement climatique provoqué par l’humain et la fréquence des orages, mais les tendances ne sont pas encore bien claires dans un sens comme dans l’autre. » Le climatologue appelle tout de même à la « vigilance en termes d’investissement, d’occupation et d’aménagement des zones qui peuvent être vulnérables dans ces conditions-là », faisant référence – entre autres – au ravage de milliers d’hectares de vignobles girondins.

S’ils n’ont pas encore d’influence connue sur la fréquence des épisodes orageux, les dérèglements climatiques ont bien, en revanche, une conséquence sur l’intensité des pluies, documentée dans le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). « Les lames d’eau sont plus importantes, affirme Emmanuel Demaël. C’est très lié au réchauffement des températures : la quantité d’eau disponible à la condensation est supérieure, et le cycle de l’eau est accéléré. Les pluies extrêmes sont donc favorisées et plus intenses. » « Ce qui me surprend le plus dans ces orages printaniers, note, pour sa part, l’ancien vice-président du GIEC, Jean Jouzel, c’est la période à laquelle ils se produisent. » Lui aussi confirme qu’il n’a pas observé de tel phénomène depuis 1971.