En cas d’adoption de la loi ELAN, seuls 10 % des logements neufs devront être entièrement accessibles aux personnes en situation de handicap. / CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Les députés ont adopté, vendredi 1er juin, l’article 18 de la loi évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN), qui ramène de 100 % à 10 % la part des logements neufs devant être obligatoirement accessibles aux personnes handicapées. Cette disposition a aussitôt été critiquée par de nombreuses associations, de l’APF Handicap France à la fédération APAJH pour adultes et jeunes handicapés. Celles-ci dénoncent une « grave régression sociale », étendue aux personnes âgées dépendantes, également concernées par l’évolution des logements.

« Nous avons participé à des travaux avec le gouvernement au sein du Conseil national consultatif des personnes handicapées » (CNCPH), raconte Arnaud de Broca, secrétaire général de la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH). « Mais on est loin d’une véritable concertation, on a donné un avis négatif dès le départ sur cette mesure », annoncée lors d’un conseil interministériel, le 20 septembre 2017.

« Le lobby des promoteurs et des bâtisseurs a fait son travail, en prétextant que ce serait plus facile de construire avec moins de normes, que cela coûte moins cher », constate Jean-Louis Garcia, président de l’Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH), membre du Conseil national des personnes handicapées.

Fauteuil roulant dans toutes les pièces

Depuis la loi sur l’accessibilité, votée en février 2005, tout logement construit au rez-de-chaussée ou desservi par un ascenseur doit être « accessible » : concrètement, cela signifie que son bâti doit rendre possible un déplacement en fauteuil roulant dans toutes les pièces, et des travaux simples doivent permettre son adaptation à différents handicaps. Moins de la moitié des logements français est aujourd’hui concernée : tout bâtiment sans ascenseur – obligatoire dès quatre étages – en est par exemple exclu.

En cas d’adoption en l’état de la loi ELAN, seuls 10 % des nouvelles constructions devront donc être « accessibles », les autres étant « évolutifs » dès la construction : cela signifie, par exemple, que l’entrée dans le logement, le séjour et les « cabinets d’aisance » devra être possible en fauteuil. Les autres pièces n’auront pas à être accessibles, mais leur adaptation devra être possible.

Pour Julien Denormandie, le secrétaire d’Etat auprès du ministre de la cohésion des territoires, notamment chargé de la politique du logement, cet habitat évolutif permettra « une meilleure adaptation des logements aux besoins de leur locataire ». Une habitation évolutive est « conçue pour être rendue totalement accessible, facilement et à moindre coût », appuie Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées.

Logements « visitables, mais pas habitables »

« Un homme ou une femme en situation de handicap, c’est d’abord un citoyen, et un citoyen à part entière. Si l’environnement du quotidien le contraint, il n’est plus libre », avance toutefois Jean-Louis Garcia, qui dénonce un « recul gigantesque » dans la prise en compte du handicap. Les associations sont opposées au logement évolutif, « d’un flou absolu » et qui rend les lieux « visitables, mais pas habitables », pour Arnaud de Broca.

« L’accessibilité, c’est aussi de pouvoir dormir chez des amis, de la famille, et d’avoir accès à un environnement compatible chez les autres. Ce qui est rendu impossible avec cet article, déplore le secrétaire général de la FNATH. C’est une belle idée qui se heurte au quotidien des personnes handicapées et à la réduction de leurs choix, notamment en termes de financement de l’adaptation. »

D’autant, pour les associations, que la pénurie de logements disponibles existe déjà. « Au moins 800 000 personnes, dans différentes situations de handicap, ont besoin de logements accessibles, explique Jean-Louis Garcia. Sur le marché, il n’y a pas ce qu’il faut. Cela va devenir très cher, donc inaccessible, et je regrette qu’un pouvoir qui veut tendre vers une société inclusive n’entende pas nos paroles. »

Ascenseurs dans les bâtiments de trois étages

Selon les calculs de l’Association pour adultes et jeunes handicapés, seuls quatre logements construits sur cent seront accessibles, après l’adoption de la loi ELAN. Pour tenter d’augmenter leur nombre, les associations demandent depuis plusieurs années que l’installation d’ascenseurs soit obligatoire dans les bâtiments de trois étages minimum, contre quatre actuellement. « Nous avons bataillé dès l’arrivée du gouvernement d’Edouard Philippe, martèle Jean-Louis Garcia. Sous Hollande, comme sous Sarkozy, nous n’y étions pas parvenus. »

« Lors du décret d’application, le CNCPH sera de nouveau consulté, comme le prévoit la loi », rappelle Arnaud de Broca, avant d’ironiser : « Comme son nom l’indique, le conseil n’est que consultatif… » « Lorsque, pendant le débat face à Marine Le Pen, Emmanuel Macron a utilisé sa carte blanche pour parler de handicap, j’ai salué une belle prise de position, termine Jean-Louis Garcia. Aujourd’hui, nous sommes très déçus. »