Le commissaire à l’agriculture, l’Irlandais Phil Hogan, à Bruxelles le 1er juin. / YVES HERMAN / REUTERS

Editorial du « Monde ». Voilà bien longtemps que la politique agricole commune (PAC) est sous le feu des critiques. Les Etats pestent contre sa complexité, alors qu’ils en sont pourtant en partie responsables. Les agriculteurs ont le sentiment qu’elle ne les protège plus assez contre la mondialisation. Quant à la société civile, elle lui reproche de ne pas être suffisamment orientée vers un modèle agricole plus respectueux de l’environnement et de la santé.

Face à ce concert de mécontentements, on attendait de la part de la Commission européenne une réforme ambitieuse et struc­turante. Les propositions rendues publiques le 1er juin se révèlent décevantes et sans réelle vision stratégique à l’échelle du continent, en préférant redonner la main aux Etats pour orienter leur modèle agricole.

Coupes claires

Bruxelles affirme vouloir faire mieux avec moins. Le « moins » découle à la fois d’un budget communautaire qui doit apprendre à se passer de la contribution britannique dans la perspective du Brexit et d’une réorientation de ses moyens vers de nouvelles priorités comme la défense, la sécurité ou les nouvelles technologies. Sur la période 2021-2027, le budget de la PAC pourrait être ainsi amputé de 12 % en euros constants. Les agriculteurs français devraient ainsi renoncer sur la période à 5 milliards d’euros d’aides, sur un total de 55 milliards.

Ces coupes claires ont bien entendu suscité de vives critiques en France, mais aussi en Allemagne ou en Espagne. Avec un certain bon sens, non dénué d’une pointe de cynisme, le commissaire à l’agriculture, l’Irlandais Phil Hogan, a invité les grincheux à augmenter leurs contributions au budget européen pour espérer recevoir plus d’aides agricoles en retour.

Au-delà de ce classique marchandage sur les moyens alloués, le principal aspect de la réforme porte sur la modification de la gouvernance de la PAC. La Commission européenne souhaite tirer les enseignements de l’échec du fonctionnement actuel en confiant à chacun des Etats membres la responsabilité d’établir « un plan stratégique national agricole ».

Bruxelles part du principe que chaque pays a ses propres contraintes et spécificités et que laisser la flexibilité à chacun de choisir son modèle sera un gage d’efficacité. Cette marche vers la subsidiarité est à double tranchant. A partir du moment où les conditions d’attribution des aides ne sont plus uniformisées, le modèle agricole européen risque de se disloquer, tandis que les situations de dumping social ou environnemental pourraient bien se multiplier.

La Commission rétorque que ces plans ­seront soumis à son approbation et seront assortis d’incitations à développer une agriculture plus responsable. Mais, à ce stade, les mécanismes proposés sont peu contraignants pour les Etats et les fonds en faveur de la protection de l’environnement ont été sérieusement revus à la baisse sans réelle mesure de remplacement.

Faute d’avoir réussi à trouver un consensus parmi les Etats membres, la Commission a choisi la solution du plus petit dénominateur commun, renvoyant à chacun la responsabilité de mesures potentiellement impopulaires. Cette « renationalisation » de l’un des piliers de la construction européenne prend des allures de renoncement. Sur des sujets aussi cruciaux que le réchauffement climatique ou les enjeux de santé et d’alimentation, on avait besoin d’une vision européenne, qui soit plus que l’addition de spécificités nationales. La PAC est en passe de perdre son C. C’est une mauvaise nouvelle pour l’agriculture européenne.