En 2015, le succès public rencontré par le film Fatima et sa consécration lors de la cérémonie des Césars (trois récompenses, dont celle du meilleur film) ont projeté sur le devant de la scène un cinéaste discret, qui opérait depuis vingt-cinq ans dans les marges économiques les plus fragiles du cinéma français. Philippe Faucon, né en 1958, a bâti patiemment, à l’abri des regards, une œuvre d’une sensibilité, d’une rigueur et d’une cohérence remarquables, entièrement dévolue à ceux qui, dans la société française, souffrent (ou ont souffert) d’un défaut de visibilité : jeunes en rupture de ban, toxicomanes, minorités sexuelles, séropositifs, immigrés de première ou deuxième génération, habitants des quartiers populaires… Edités au petit bonheur ou souvent indisponibles, ses films font aujourd’hui l’objet d’un riche coffret de sept DVD qui rassemble une belle sélection d’essentiels et de raretés.

Fatima de Philippe Faucon - Bande-annonce
Durée : 01:38

Retraverser cette œuvre permet d’abord de dissiper un malentendu qui lui colle depuis trop longtemps à la peau, celui d’un cinéma qui se résumerait aux sujets de société et sacrifierait à la bonne conscience sociale. La démarche du cinéaste, indiscutablement conçue comme un contre-modèle aux représentations dominantes, apparaît au contraire sous-tendue par un geste esthétique d’une rare intransigeance, reposant depuis son premier long-métrage (L’Amour, 1990, absent du coffret) sur la question de l’incarnation. Dans ses films, qui empruntent souvent la forme du portrait, incarner un personnage, ce n’est pas tant l’interpréter que recueillir son empreinte physique dans la durée du film. C’est-à-dire saisir ce qu’il y a d’unique, d’inimitable, de sensuel dans la présence d’une personne donnée – raison pour laquelle Faucon travaille autant avec des acteurs amateurs.

Trailer: Sabine de Philippe Faucon
Durée : 01:33

Visages et gestuelles

Cette empreinte est d’abord celle du visage. Dans le rare et magnifique Sabine (1992), une jeune fille-mère sombre peu à peu dans l’enfer de la drogue et du vagabondage. Tout du long, la caméra est happée par le visage fragile de son interprète (la merveilleuse Catherine Klein), aux expressions et aux humeurs infiniment frémissantes. Puis viennent les spécificités d’un accent, d’une gestuelle, d’une mobilité : ceux par exemple de Samia (Samia, 2000), une adolescente des quartiers nord de Marseille issue d’une famille d’origine algérienne, dont la faconde et la vitalité, dépeintes avec une infinie justesse, restent gravées dans la mémoire. Dans Fatima (2015), le quotidien d’une femme de ménage immigrée, se démenant pour que ses deux filles fassent leurs études, est décliné selon chacune des pressions sociales qui l’affectent.

Samia (extrait04)
Durée : 01:38

Ce coffret révèle une dimension encore méconnue du travail de Philippe Faucon : ses travaux pour la télévision

L’un des points forts du coffret est de révéler une dimension encore méconnue du travail de Philippe Faucon : ses travaux pour la télévision – le réalisateur faisant partie d’une génération qui a œuvré tout autant pour le grand que pour le petit écran. Bien loin de manifester un écart qualitatif, bon nombre de ses téléfilms font preuve d’une même rigueur, d’une même force que ses longs-métrages, et se hissent sans peine à la hauteur des plus importants d’entre eux. A l’instar du splendide Mes dix-sept ans (1996), qui scrute le malaise d’une adolescente ne supportant plus ses parents et qui contracte le sida dans un centre de repos. Modeste et intense, le film repose sur une succession nette de moments décisifs, retraçant comme au sismographe l’évolution sensible de l’héroïne.

Mes 17 ans (extrait 01)
Durée : 03:01

Les Etrangers (1998), commandité pour Arte par l’illustre Pierre Chevalier, s’avère encore plus impressionnant. Selim, homosexuel rejeté par sa famille, fait son service militaire et devient casque bleu en Bosnie-Herzégovine. Là-bas, l’étroitesse du champ d’action, le désœuvrement découlant d’une mission mal définie, la macération machiste et raciste du corps d’armée exaspèrent les tensions entre soldats. Le film impressionne par sa vigueur elliptique et l’intelligence de sa progression, n’hésitant pas à quitter un temps son protagoniste pour décrire une situation collective et complexe. Ce sont cette précision et cette efficacité que l’on retrouve dans un court-métrage d’à peine quatre minutes, Tout n’est pas en noir (1997), issu du programme collectif L’amour est à réinventer : un petit chef-d’œuvre de fantaisie, d’inventivité, d’humour, de sensualité et de douceur. En une poignée de plans infiniment légers et vrais, Philippe Faucon réussit l’impossible : faire éprouver l’inépuisable plasticité de l’amour. Une indispensable leçon de cinéma.

Les Etrangers (extrait 04)
Durée : 02:11

Philippe Faucon. Anthologie, 9 films. Coffret 7 DVD + 1 livret, Pyramide Vidéo, 69,99 €. Sur le Web : distrib.pyramidefilms.com/pyramide-distribution-catalogue.html