Editorial du « Monde ». Autant l’ampleur de la crise migratoire à laquelle est confrontée l’Europe depuis 2014 était imprévue, autant le blocage politique qu’elle provoque au sommet de l’Union européenne était annoncé. La réunion des ministres de l’intérieur des Vingt-Huit, mardi 5 juin, à Luxembourg, a confirmé ce que tout le monde redoutait : l’Europe reste incapable de trouver une issue commune à ce sujet majeur, qui n’en finit plus de ravager le paysage politique de nos démocraties.

Dernière en date, la petite Slovénie a à son tour succombé, avec le soutien actif du premier ministre hongrois, Viktor Orban, aux sirènes d’un parti anti-immigration qui devrait participer à la formation du prochain gouvernement à Ljubljana.

Au clivage Est-Ouest, entre des pays d’Europe centrale, ouverts depuis peu à la libre circulation des personnes, radicalement opposés à l’idée de se voir imposer par Bruxelles des quotas de réfugiés, et une Europe de l’Ouest campant sur le principe de solidarité, s’est ajouté un clivage Nord-Sud, entre pays riverains de la Méditerranée dans lesquels arrivent la grande majorité des migrants et ceux qui souhaitent éviter d’être leur destination finale.

L’affrontement est désormais inévitable

Ces clivages sont compliqués par la progression des mouvements populistes – en partie favorisée par les polémiques sur l’immigration – au sein de l’UE. Ces partis sont aujourd’hui au pouvoir dans plusieurs pays d’Europe centrale et participent à des coalitions gouvernementales en Autriche, en Slovénie, en Belgique.

Mais c’est surtout la victoire du Mouvement 5 Etoiles, en Italie, en mars, et la formation d’un gouvernement avec la Lega d’extrême droite qui précipite le débat. Avec la nomination du chef de file de la Lega, Matteo Salvini, au poste de ministre de l’intérieur, l’affrontement est désormais inévitable. Pendant la campagne électorale, M. Salvini a promis d’expulser un demi-million de migrants.

Le problème – que, dans son cynisme, M. Salvini fait mine d’ignorer –, c’est qu’à l’heure actuelle l’organisation du retour des immigrés clandestins dans leur pays d’origine est quasi impossible. La grande majorité des demandeurs d’asile déboutés, en réalité, restent en Europe, dans des conditions précaires.

Bruxelles et la présidence tournante de l’UE, actuellement occupée par la Bulgarie, tentent d’obtenir un compromis sur la réforme du règlement de Dublin, qui veut que les demandes d’asile soient gérées dans le pays de première arrivée. Le durcissement des positions à Rome rend ce compromis introuvable. La plupart des experts européens prévoient à présent que les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE échoueront de nouveau à se mettre d’accord sur la question migratoire au sommet des 28 et 29 juin.

Ces échecs répétés mènent l’Europe à la catastrophe. Deux priorités semblent établies : offrir l’asile à ceux qui en ont besoin et dissuader les migrants de risquer leur vie pour venir en Europe. Selon un rapport récent du think tank européen European Stability Initiative, quatre pays, l’Allemagne, la France, l’Italie et la Grèce, ont concentré en 2017 près des trois quarts (72 %) des demandes d’asile, soit 509 000 requêtes.

Ces quatre pays ont un intérêt prioritaire à réformer et à harmoniser le droit d’asile, et à négocier des accords de réadmission avec les pays d’origine, en particulier les pays africains dont les ressortissants ne peuvent pas prétendre à un statut de réfugié. Peut-être serait-ce là un format de travail plus productif que les grands-messes à vingt-huit.