Manifestation d’apiculteurs, à Paris, le 7 juin. / DR

Face à l’ampleur des pertes d’abeilles en sortie d’hiver, les apiculteurs se sont réunis, jeudi 7 juin, pour une grande journée de mobilisation nationale. A Paris, place des Invalides, mais aussi à Lyon, Rennes, Quimper, Tours, Périgueux, La Rochelle, Strasbourg ou encore Laon. Ils ont dénoncé un « écocide » et ont appelé l’Etat et le président Emmanuel Macron à allouer « un plan de soutien exceptionnel aux apiculteurs sinistrés » et instaurer les conditions d’un « environnement viable pour les colonies d’abeilles et les pollinisateurs ». Le ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, leur a rendu visite face à l’hôtel des Invalides. « C’est quelque chose de fort, parce qu’on demande avant tout une reconnaissance glisse Marie Giorgi, apicultrice bretonne. Nier la réalité globale du travail d’apiculteur, aujourd’hui, c’est tourner le dos à l’effondrement de masse des abeilles. Nous sommes en première ligne. »

Cérémonie mortuaire

Jouée par un trompettiste, la sonnerie aux morts retentit gravement sur la place des Invalides. Grises mines, têtes baissées, vareuses sur le dos, les apiculteurs rendent hommage aux abeilles disparues cet hiver. Elles sont là, devant eux, inanimées. L’un des protagonistes agite son enfumoir et répand l’odeur lancinante d’un tabac traditionnellement destiné à masquer les phéromones des butineuses.

Derrière un pupitre, Marie Giorgi égraine la provenance des colonies sinistrées, les noms de leurs propriétaires. Basée en presqu’île de Crozon (Finistère), l’apicultrice hiverne une bonne partie de ses ruches dans les Côtes-d’Armor. En Bretagne, plus de 20 000 colonies d’abeilles sont mortes cet hiver, soit un tiers de leur nombre total. Marie Giorgi n’a pas échappé à l’hécatombe. La peur au ventre, elle a ouvert, une à une, ses ruches. « Sur certaines, raconte-t-elle, tout était mort. J’en ai perdu 200 sur 260… » En sept ans d’apiculture, elle n’a jamais connu ça. Elle montre l’un de ses cadres, lourd de miel. Au centre, une grappe d’abeilles mortes. « 200 ruches perdues, c’est 50 000 euros de capital parti en fumée. Sans compter la production que je n’aurai pas. En tout… c’est au moins 120 000 euros réduits à néant en une année. Certains apiculteurs sont en cessation de paiement, mis en demeure, s’ils n’ont pas déjà mis la clé sous la porte. »

« C’est la vie qu’on met en danger »

Un temps de silence est consacré au recueillement, tout juste perturbé par le ballet de quelques voitures. La quinzaine d’apiculteurs, épaulés par le sénateur écologiste du Morbihan Joël Labbé ou le député européen Yannick Jadot (EELV), se dirigent vers l’Elysée pour faire entendre leur voix auprès du pouvoir exécutif. Dès l’entame du Pont Alexandre-III, un cordon de CRS bloque le passage.

« Au fond, philosophe Marie Giorgi, nous sommes des témoins gênants. Les abeilles sont des indicateurs de la biodiversité. C’est la vie qu’on met en danger en répandant des molécules nocives sur le marché et dans la nature. Nous sommes les témoins d’une dégradation générale de l’environnement causée par ces produits. Les insectes et les oiseaux disparaissent en silence. Nous écouter, nous entendre, nous accorder raison, ça veut dire changer de modèle agricole français. » Pas sûre, dit-elle, que les dirigeants français en aient le courage.