Des boîtes contenant des téléphones portables produits par le chinois ZTE en mai 2018. / JOE RAEDLE / AFP

Avec la célèbre mention « conçu par Apple en Californie, assemblé en Chine », au dos des iPhone, on connaissait la dépendance des smartphones d’Apple aux usines chinoises. Avec la saga de ZTE, grand équipementier télécoms chinois, fort de 75 000 salariés, on connaît désormais l’extraordinaire dépendance de la Chine vis-à-vis de l’industrie américaine. L’entreprise fondée en 1985 a tout simplement cessé ses principales activités d’exploitation le 9 mai. Deux jours auparavant, sa cotation en Bourse avait été suspendue. A l’origine de ces mesures, la décision de Washington d’interdire aux entreprises américaines d’alimenter ZTE en composants, la firme étant accusée d’avoir violé pendant des années les embargos américains vers l’Iran et la Corée du Nord.

Un compromis trouvé

Le 13 mai, le président Donald Trump faisait savoir dans un Tweet qu’il travaillait avec son homologue chinois Xi Jinping pour permettre à ZTE de « reprendre ses activités, et vite ». Après des semaines de négociations, un compromis a été trouvé, a annoncé, jeudi 7 juin, le secrétaire américain au commerce Wilbur Ross. ZTE, qui valait en avril 20 milliards de dollars (17 milliards d’euros) en Bourse pour un chiffre d’affaires de 17 milliards, va payer une amende d’un milliard de dollars, changer son équipe de direction d’ici un mois, mettre sous séquestre 400 millions de dollars supplémentaires en cas de nouvelle défaillance et accepter pendant dix ans la présence dans ses locaux d’agents américains sinisants qui rendront compte tant à la direction de ZTE qu’au département du commerce américain.

L’affaire ZTE remonte au début de la décennie, lorsque l’agence Reuters révèle en 2012 que l’entreprise fait des affaires avec l’Iran. Les enquêteurs américains se mettent sur la piste, découvrent que ZTE viole l’embargo américain en installant un réseau de télécommunications dans le pays et qu’il fait de même avec la Corée du Nord.

L’entreprise était consciente des risques, comme en atteste un mémo daté de 2011, estampillé top secret, et révélé par les Américains : « Actuellement, notre entreprise a des projets en cours avec les cinq grands pays sous embargo américain : Iran, Soudan, Corée du Nord, Syrie, Cuba », reconnaît cette note approuvée par le PDG d’alors, Shi Lirong. « Les réexportations de notre entreprise, dont celles concernant les projets iraniens, peuvent potentiellement nous conduire à être placés sur la liste noire par les Etats-Unis. Et si nous sommes sur la liste noire des Etats-Unis, notre entreprise pourrait perdre sa chaîne d’approvisionnement de produits américains ». Au total, 32 millions de dollars de composants interdits auraient été expédiés en Iran, selon le ministère de la justice américain.

« Nous avons toujours le pouvoir de leur faire fermer boutique »

Sauf que pendant des années, l’entreprise a menti, prétendant avoir cessé ses activités avec l’Iran, embauchant une équipe de treize personnes pour expurger ses archives et ses comptes. Jusqu’à ce que les Américains commencent à couper la chaîne d’approvisionnement à partir de 2016. Soudain, ZTE se montre coopérative et un premier accord est scellé en mars 2017, l’entreprise acceptant de payer une amende de 892 millions de dollars et de se séparer de quatre salariés. Ce premier accord laisse dubitatif certains faucons américains. « Les pénalités ont l’air élevées, mais ZTE va pouvoir reprendre tranquillement ses affaires », s’affligeait à l’époque dans le Wall Street Journal Michael Wessel, membre de la commission de sécurité américano-chinoise. C’est la violation de cet accord et le paiement de bonus aux salariés impliqués dans l’affaire qui a conduit les Etats-Unis à décider en avril 2018 le blocage des exportations américaines.

La presse américaine a analysé les smartphones de ZTE, quatrième fournisseur sur le marché américain avec 19 millions d’appareils vendus en 2017 : 60 % des composants sont américains. L’entreprise de San Diego Qualcomm fournit le tiers des 25 composants du circuit principal, tandis que Google apporte le système Androïd : depuis des semaines, le géant ne fournissait plus de version révisée, rendant les smartphones de ZTE moins fiables.

L’affaire conforte les Chinois dans leur ambition d’assurer leur indépendance technologique d’ici à 2025 dans les microprocesseurs. Mais le revirement du président américain a particulièrement agacé les membres du Congrès. « Leur technologie est une menace pour notre sécurité nationale. Pourquoi donc l’administration Trump envisage-t-elle d’alléger des sanctions sur un aussi mauvais acteur », s’est indigné mercredi 6 juin le chef des démocrates du Sénat, Chuck Schumer. « Nous avons toujours le pouvoir de leur faire fermer boutique », a prévenu Wilbur Ross. L’action ZTE, cotée à Shenzhen et Hongkong, devrait rester suspendue, a annoncé l’entreprise.