Depuis l’âge de 4 ans, le jeune Johnny Be Goode interprète les tubes d’Elvis Presley en public. / CLÉMENTINE SCHNEIDERMANN

Le King ne vit pas dans un endroit tenu secret, entouré de Jimi Hendrix et James Dean. Il se cache dans la foule, à Porthcawl, une station balnéaire un peu défraîchie du sud du Pays de Galles. C’est là que, trois jours durant, se tient, généralement sous une pluie battante, ce que le Guide du routard présente comme « le plus grand festival consacré à Elvis Presley en Europe ».

Du 28 au 30 septembre, quelque 35 000 fervents visiteurs viendront s’enivrer de l’œuvre musicale de leur idole, voire s’enivrer tout court. Porthcawl n’est pas Graceland, l’ancienne propriété de l’artiste reconvertie en musée, c’est un autre type de célébration, aussi kitsch mais moins compassé.

Sur le littoral gallois, on trouve des Elvis de tous les gabarits, de tous les âges avec, quand même, une nette surreprésentation des mâles en surpoids de plus de 50 ans. Clémentine Schneidermann n’a pas manqué une seule édition depuis 2013.

Port de la rouflaquette recommandé

« Au Royaume-Uni, raconte la photographe, le culte d’Elvis est resté très fort. Sans doute la conséquence d’une grande proximité avec la culture américaine. Malgré son succès, ce festival est surtout fréquenté par des gens issus de milieux populaires, venus pour l’essentiel du sud du Pays de Galles, un bassin post-industriel et minier. »

Porthcawl, c’est Elvis Presley au pays de Ken Loach. La photographe, qui habite Cardiff, est marquée par la bonne humeur et l’insouciance mais aussi le soin que chacun met à habiter, souvent en famille, le personnage du King. Pour en faire un livre, I Called her Lisa Marie (Éd. Chose Commune), elle a suivi Ian, Linda ou encore Johnny Be Goode, un Elvis de 10 ans qui reprend en public les classiques presleyens depuis l’âge de 4 ans.

Elle s’est aussi rendue sur les terres de la légende, à Memphis, Tennessee, ainsi qu’à Holly Springs, Mississippi, et à Randers, au Danemark, où des répliques de Graceland ont été bâties.

À Porthcawl, les combinaisons lamées toisent les vestes pailletées, les pattes d’eph’ sont de rigueur, les bananes dûment brillantinées, et le port de la rouflaquette recommandé. On n’est pas obligé de ressembler au dieu du rock ni de prendre la pose, grave, derrière les lunettes noires, de ceux qui ont la foi.

40 ans après la mort d’Elvis : le recueillement des fans du « King » à Graceland

On pleure d’émotion lorsque la foule reprend Love Me Tender, mais la minute suivante, on pleure de rire comme dans n’importe quelle fête foraine. Attention, ne surtout pas prendre ces pèlerins accourus sur Coney Beach pour de vils imitateurs.

Tous sont les conservateurs d’un grand musée ; ils tiennent à ce qu’on les désigne par l’acronyme ETA (Elvis Tribute Artist). Ces « artistes qui rendent hommage à Elvis » se mesurent lors de radio-crochets organisés devant des parterres de copines quinquagénaires en jupe patineuse et socquettes.

Sur le front de mer un peu pâlot de cette cité balnéaire qui connut des jours meilleurs, chaque hôtel, restaurant, pub, fish and chips, voire supérette, organise son événement. Trophée de l’Elvis Gospel, Grand Prix de l’Elvis époque GI, Oscar de l’Elvis période Vegas, Palme du jeune Elvis.

Alison et Margaret, d’authentiques groupies, lors du Porthcawl Elvis Festival de 2017. / CLÉMENTINE SCHNEIDERMANN

On élit même l’Elvis gallois du festival. Certains, venus en observateur, racontent qu’après avoir entendu Don’t Be Cruel à plus de vingt-sept reprises ils ont eu l’impression de se trouver dans un univers parallèle.

L’Elvis des Elvis

L’acmé de ces trois journées – qui se terminent, pour ceux qui tiennent la distance, le lundi matin – est le Best Festival Elvis. C’est là, sous les ors du Grand Pavillon, une salle de musique un peu fatiguée des années 1920, qu’est adoubé l’Elvis des Elvis par un jury d’huiles de la nomenklatura Presley.

On évalue la texture de la voix, la justesse des trémolos, la conviction avec laquelle l’interprète minaude ses « mmmmh… hey… yeah ! » sur All Shook Up et aboie « Everybody, let’s rock » sur Jailhouse Rock. L’authenticité des déhanchements pelviens, la tenue de la fameuse moue unilatérale et la rigueur de la reconstitution vestimentaire viendront ensuite.

Enthousiaste, le public ne ménage pas ses encouragements. À condition que l’on ne manque pas de respect au King. Une année, le tour de chant d’un Elvis totalement chauve s’est terminé sous les quolibets et avec des menaces de mort.