La statut de Lénine devant le stade Loujniki de Moscou, le 13 juin 2018. / CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS

Si Lénine voyait ça ! La Coupe du monde 2018 chez les ­Soviets… Très longtemps, pourtant, l’URSS aura snobé la ­Fédération internationale de ­football (FIFA), et plus longtemps encore, la Coupe du monde. Deux décennies séparent la naissance de l’Union soviétique, en 1922, et son ralliement formel à l’organisation sportive, en 1946. Douze ans d’attente encore avant qu’elle ne daigne participer à la Coupe du monde.

Certes, l’équipe d’URSS dispute déjà deux matchs amicaux officiels entre 1924 et 1925, contre la toute jeune Turquie de Mustafa Kemal Atatürk. La FIFA, alors ­domiciliée à Paris, tolère ces rencontres pour une bonne raison : de la part des ­Soviétiques, elle ­espère une ­rapide demande d’adhésion. Mais niet ! Pour l’URSS, hors de question de s’affilier à cette institution du « sport bourgeois », à laquelle la Russie tsariste avait adhéré en son temps.

Passé ce moment de flottement, la FIFA fait volte-face : elle interdit à ses membres de laisser leurs ­sélections nationales affronter les Soviétiques. L’URSS voit de toute façon le sport autrement, organisant, par exemple, par le biais de l’Internationale rouge sportive (1921-1937), ses « Spartakiades ouvrières », alternatives aux Jeux olympiques.

L’expérience s’essouffle lorsque l’URSS, quoique partisane du sport amateur, s’estime enfin en mesure de défier des joueurs professionnels à l’étranger. « Les années 1930 marquent pour les Soviétiques le ­retour en grâce du football comme instrument de compétition à ­l’international, estime Sylvain ­Dufraisse, enseignant en sociologie du sport à l’université de Nantes. Il est même arrivé que des dirigeants demandent aux joueurs de passer chez le coiffeur avant un match pour soigner leur image. »

Rapprochement diplomatique

Pour la première fois, des footballeurs soviétiques affrontent une équipe professionnelle en 1934, le club tchécoslovaque de Brno. ­S’ensuivent deux voyages en ­région parisienne : une délégation d’Ukraine joue contre le Red Star, une équipe moscovite contre le Racing. « Ces matchs ont fait partie intégrante du rapprochement ­diplomatique entre la France et l’URSS, resituent André Gounot et Yannick Deschamps, enseignant et doctorant à l’université de Strasbourg. Ils ont été conclus avec ­l’accord tacite du ­ministère français des affaires étrangères. » L’enseignant rappelle le rôle « crucial » dans cette tournée du Français ­Jules Rimet, alors président de la FIFA et soucieux de rapprocher les Soviétiques du reste du football. Plus tard, pendant la guerre d’Espagne, l’URSS accueille une ­sélection basque.

Ces échanges naissants stimulent les clubs soviétiques. Les autorités créent le championnat d’URSS en 1936, sans pour autant adhérer à la FIFA, qu’elles estiment toujours sous le contrôle de « fascistes antisoviétiques », selon une note interne du conseil suprême de la culture physique. Sans non plus envisager une participation à la Coupe du monde, qui vient d’être organisée par l’Italie de Mussolini.

A la fin de la seconde guerre mondiale, début d’un nouveau ­cycle : « La participation des Soviétiques à la victoire des Alliés sur ­l’Allemagne les a amenés dans la communauté mondiale, et le sport a joué un rôle dans cette émergence », souligne l’historien américain Robert Edelman dans Serious Fun : a History of Spectator Sports in the USSR (1993, non traduit). En 1945, le succès d’une tournée interalliée en Angleterre achève de convaincre le pouvoir soviétique : le sport peut désormais contribuer au rayonnement de l’Union.

Tout heureuse d’élargir son territoire, la FIFA offre quelques ­concessions aux Soviétiques pour faciliter leur adhésion : une place à la vice-présidence de ­l’organisation et l’entrée du russe parmi les langues officielles. ­Encore un peu de patience, ­cependant : après avoir passé son tour en 1950 et 1954, l’URSS ­attend l’édition suédoise de 1958 pour s’engager enfin en Coupe du monde. Cette première s’achève en quarts de finale. Dans les ­cages, déjà un certain Lev Yachine. L’« Araignée noire », demi-finaliste du Mondial 1966 en Angleterre, resurgit un demi-siècle plus tard : les organisateurs l’ont choisie pour l’affiche de la Coupe du monde 2018.