Au bar Les Ambassadeurs de l’hôtel de Crillon, à Paris, un brunch littéraire  réunissait plusieurs écrivains dont Laurence Debray, Constance Debré, Nathalie Azoulai et Colombe Schneck, le 3 juin. / PATRICK KOVARIK/AFP

Ma tante baba cool fumeuse de chèvres et éleveuse de pétards se demandait parfois si ses fils ne tourneraient pas CRS. Il faut bien avoir quelque chose contre lequel se rebeller. Peut-être que Régis Debray et Elizabeth Burgos, révolutionnaire vénézuélienne devenue directrice de la maison de l’Amérique latine, s’étaient fait la même remarque avant d’envoyer leur fille Laurence, 10 ans, apprendre à manier les armes et à brûler l’effigie de Reagan en camp de pionniers à Cuba. Laurence Debray a fait HEC, travaillé dans la banque, publie régulièrement des articles dans Le Figaro Magazine ou Paris-Match et se trouve parfaitement à l’aise à l’Hôtel de Crillon un dimanche après-midi.

Une autre Debré ne s’y sent, elle, pas bien du tout. C’est Constance Debré, fille de François, l’aventurier journaliste opiomane, nièce de Jean-Louis le politique et de Bernard le médecin, descendante de « l’arrière-grand-père professeur de médecine au nom d’hôpital ». Elle est en jeans et chemise en jean déchirée sur les tatouages. Comme elle est jolie, au lieu de lui donner un air transgressif dans un 5-étoiles, elle a un petit côté Grace Kelly sortant de la mine. Et puis, observe-t-elle dans son roman Play boy, quand on est riche, on peut faire ce qu’on veut, on garde la classe, « techniquement à la rue mais ontologiquement pétée de thunes », écrit-elle d’elle-même. Voilà deux femmes qui s’approchent d’elle. « L’Ecole alsacienne, ma vie d’avant…, murmure-t-elle. Qui n’était pas ma vie d’ailleurs… » Des plateaux de petits fours attendent sur le comptoir du bar en fer à cheval mais Constance Debré n’y touche pas. Rien de surprenant. La séparation d’avec son mari de cette vie d’avant, elle l’explique dans son livre en grande partie par la place que prenaient les repas, leur préparation, les courses dans leur quotidien. « Toute cette attention à ce qui va partir en étrons… »

« Les palaces et les écrivains ont toujours eu des rapports incestueux. » Thomas Erber, responsable du Cabinet de curiosités du Crillon

Les deux Debré-ay sont là pour un « brunch littéraire » organisé dans le grand hôtel par Thomas Erber, un homme qui est chargé d’ambiancer le 5-étoiles en invitant quatre auteurs à venir dédicacer leurs ouvrages un dimanche – Nathalie Azoulai et Colombe Schneck sont également présentes. Les livres se sont rarement aussi peu vendus mais il n’y a jamais eu autant d’événements organisés autour des librairies. On montre des écrivains comme on montre les ouvrages de sa bibliothèque. « Les palaces et les écrivains ont toujours eu des rapports incestueux », se justifie encore Thomas Erber. Mais même au Crillon, même quand on invite les proches, les auteurs ne dédicacent pas leurs livres par brouettes.

Debré a lu le livre de Debray. La première, qui semble avoir rompu avec tout ce qu’elle pouvait, ne comprend pas bien où se situe aujourd’hui son homonyme, qui semble avoir gardé des pieds un peu partout. Dans le bar de l’Ambassadeur, il y a autour d’elle des Cubains chassés de Cuba. Arrive une dame très chic qui la prend par les épaules. « J’ai appris que la reine d’Espagne n’avait jamais vu votre film ! » (Laurence Debray est spécialiste du roi d’Espagne). Puis un homme qui vient lui raconter des anecdotes partagées avec Régis Debray à l’époque de mai 1981 où il était au Quai d’Orsay et Debray ministre de Mitterrand (à chacun sa part d’ombre). Elle écoute tout, semblant toujours en quête d’éléments qui l’aideraient à cerner ses parents.

« Des parents bourges et toxicos, ça forme. » Constance Debré

« C’est très dur d’être le fils de quelqu’un de connu », m’explique un homme au fort accent argentin. « C’est très dur de savoir qui on est… » C’est Jorge Masetti. Son père, qui s’appelait déjà Jorge Masetti, fut un héros de la révolution cubaine. Journaliste argentin, il fit les premières interviews de Fidel Castro et Che Guevara dans la sierra Maestra avant de monter l’agence de presse cubaine internationaliste Prensa Latina et de mourir tué à la frontière argentino-bolivienne. Lui aussi a du mal à savoir qui il était. Il a passé dix-sept ans de guérilla en Amérique latine, d’Argentine au Nicaragua, avant de devenir journaliste. « Son livre est courageux », dit-il de celui de Laurence Debray.

Constance Debré, sa nouvelle vie et sa verve d’avocate ont été invitées à « faire Ruquier », à participer donc à « On n’est pas couché ». Laurence Debray a été placée face à Mélenchon dans « L’Emission politique » de Léa Salamé, ou plutôt face à son dos quand il le lui a tourné après avoir décrété qu’elle n’avait pas le niveau de son père. « Il ne t’a pas non plus menacé avec des mitraillettes », a modéré sa mère. Sur la couverture de son livre, sous la photo de l’enfant à la mitraillette prise au camp cubain, un bandeau récapitule les prix reçus – prix du livre politique, prix des députés, prix étudiant du livre politique-France Culture. « Je ne comprends pas bien ce succès », a réagi son père. « Debré le médecin ou le malade ? », disait la plaisanterie à l’époque où la famille alignait toutes sortes de monstres dans les hautes sphères. Constance Debré ne semble pas chercher l’approbation de ses parents, dont les silhouettes aventurières et naufragées marquent le livre.

Ce dimanche, les deux Debré-ay, l’une au bar, l’autre dans un fauteuil, sont entourées d’amis ou de moins proches, caméléons insaisissables sous le ciel bleu du plafond peint. « Des parents bourges et toxicos, ça forme », écrit Constance Debré.