Une mascotte pré-emballée dans les rues d’Ekaterinburg. / ANDREW COULDRIDGE / REUTERS

Plus que quelques heures, et la Coupe du monde russe aura officiellement débuté. A 17 heures, l’équipe de Russie lance son tournoi face à l’Arabie saoudite. Les quatre envoyés spéciaux du Monde sont déjà en place, éparpillés façon puzzle aux quatre coins de cet immense pays.

L’un a pris ses quartiers dans le centre de Moscou, le deuxième colle aux basques des Bleus à Istra, en banlieue de Moscou, le troisième est en villégiature au bord de mer Noire à Sotchi et le dernier s’est aventuré après l’Oural, à Ekaterinbourg.

Pour certains, la Coupe du monde avait déjà commencé mercredi au terminal 2 de l’aéroport Charles-de-Gaulle où l’un des bureaux de change a déjà épuisé tous ses roubles. « Quand je vais lui envoyer la photo, mon père aura le seum ! », s’amuse d’avance une jeune femme qui vient de croiser le veston d’Arsène Wenger au comptoir d’enregistrement. Il se murmure que jusqu’à une date récente, le passager a été entraîneur de football, et toujours dans le même club. « Pendant plus de vingt ans », précise un voisin de file à un autre moins documenté.

L’homme au complet bleu a posé ses bagages comme tout le monde pour les soumettre à l’arbitrage vidéo des rayon X. Il aussi posé tout court, répondant aux nombreuses demandes plus ou moins cavalières, la gamme allant de « M. Wenger » à « Arsène ».

Arsène Wenger en route pour la Russie. / A.P

Selon les informations de « La campagne de Russie », à moins d’un transfert surprise au Torpedo Moscou, Arsène Wenger devrait être présent en Russie pour y commenter des matchs de football à la télévision sur une chaîne de grande écoute.

Il y croisera peut-être d’autres passagers de ce vol Paris-Moscou, déjà un Mondial en soi : Uruguayens, Colombiens, Français, Mexicains (le sombrero faisant foi). Et même deux citoyens des Etats-Unis d’Amérique, tout sourire : le beau temps, peut-être. Ou bien le fait que le MEC (Mexique-Etats-Unis-Canada) deviendra La Mecque du football en 2026, puisque le Mondial s’y jouera, allez savoir.

Tellement immense la Russie que l’on ne fait pas plus immense, comme le rappelle justement le site officiel d’accueil des visiteurs étrangers. Cela n’est pas une fake news : « La Russie est le plus grand pays au monde. Elle est peuplée de plus de 140 millions d’habitants. Plus de la moitié d’entre eux sont supporters et suivent le football. La Coupe du monde de la FIFA, Russie 2018™ est la chance de montrer au monde l’hospitalité, la générosité et la fiabilité du pays, qui a la joie et la responsabilité d’être l’hôte de ces compétitions. »

Trop immense peut-être, si bien que les organisateurs n’ont choisi (en quasi-intégralité) que la partie européenne de la Russie pour leurs 64 matchs : Moscou, Saint-Pétersbourg, Kaliningrad, Kazan, Nijni-Novgorod, Rostov-sur-Don, Samara, Sotchi, Volgograd et Saransk.

Seule la onzième ville, Ekaterinbourg, est située en Asie, presque en équilibre sur les deux continents, de l’autre côté de l’Oural. La ville baptisée en l’honneur de la femme du tsar Pierre le Grand, future impératrice sous le nom de Catherine 1re (en russe Eкатерина), accueillera seulement quatre matchs du premier tour (comme Saransk, Kaliningrad et Volgrograd), dont un certain France-Pérou jeudi 21 juin.

Pour le moment, ce sont les Egyptiens et les Uruguayens qui seront les premiers à l’affiche vendredi à l’Ekaterinbourg Arena. Deux jours avant, alors que la Celeste se prépare encore du côté de Nijni Novgorod, que les Pharaons s’entraînent à Grozny et que Ramzan Kadyrov en profite pour se faire un peu de pub en posant avec la vedette Mohamed Salah, les premiers supporteurs arrivaient sur place.

Dans l’avion qui assurait la liaison intérieure depuis Moscou, on remarquait les tuniques « rouge et noir « et celles, plus nombreuses, « bleu céleste ». On n’était pas le seul à les remarquer puisqu’un douanier souriant (si, si, ça existe), accompagné d’un grand échalas en costume venait réclamer, puis scanner les « ID fans » de tout ce beau monde. Chaque supporteur étranger doit en effet se trimballer avec cette véritable carte d’identité autour du cou.

Notre nouveau drapeau, preuve en image. / A.H

À tous les étourdis, le mini-drapeau russe distribué à tous par les hôtesses d’Aeroflot avant l’atterrissage n’est pas suffisant. On a failli en faire les frais lors de notre arrivée en pleine nuit à 2 h 30 du matin dans notre hôtel sympathique, et payé à l’avance. Dialogue de sourds avec le jeune et obstiné réceptionniste :

« Avez-vous votre ID fan SVP ?  

 Non, désolé, je ne suis pas un fan, je n’ai pas d’ID fan. Je vais en revanche retirer une accréditation demain au stade. 

 Il me faut absolument ce document. Sinon, je ne vais pas pouvoir vous donner les clés de votre chambre. »

Court intermède pour restituer la pensée désagréable à l’idée de passer la nuit dans la fraîcheur estivale et pluvieuse que connaît Ekaterinbourg en ce moment. Le ton monte un poil.

« Je vous dis que je n’ai pas d’ID fan. J’ai une lettre d’invitation que je peux vous montrer. 

 Ne vous énervez pas, ce sont les consignes de notre gouvernement. »

Le coup de fil salvateur à un ami, le collègue russophone installé à Moscou, et l’arrivée du manager de l’hôtel permettront après vingt minutes de palabres de résoudre cet imbroglio diplomatique et de passer finalement la nuit à l’abri.

Une Coupe du monde aux quatre coins de la Russie, au sein de grandes villes, ça passe également forcément par de nombreux trajets véhiculés. L’occasion de papoter avec la fameuse figure du chauffeur de taxi, en l’occurrence ici plutôt avec ceux d’une célèbre application, plus pratique quand vous ne maîtrisez pas la langue.

À l’aéroport, Larissa, notre première chauffeuse, nous accueille avec un petit message qu’elle a pris soin de traduire en anglais sur son téléphone : « Venez-vous pour la Coupe du monde ? Ekaterinbourg est une très belle ville, nous avons plein de choses à visiter. Soyez le bienvenu. »

Souriante, sur le trajet, elle joue au guide pour nous indiquer un monument, en joignant le geste à la parole, en l’occurrence deux doigts définitifs sur la tempe : « Place where Nikolai kill. » Entendez par là : l’église (prenez votre respiration) sur le sang versé en l’honneur de tous les saints resplendissants dans la Sainte-Russie a été bâtie dans les années 2000 à l’endroit même où la famille impériale a été exécutée en juillet 1918.

En dehors de ce lieu de mémoire, pas du tout morbide, Ekaterinbourg compte d’autres bâtiments intéressants, comme une maison oblique, un théâtre d’Etat, un musée Boris Eltsine où l’on peut admirer notamment la limousine blindée de l’ancien président et un gratte-ciel magnifique avec terrasse panoramique. Ce dernier porte le nom du poète, chanteur et acteur soviétique Vladimir Vyssotski. Un beau brin de voix rauque.

Une chanson en français :

Vladimir Vysotsky - La Fin Du Bal
Durée : 04:08

Et une en russe pour vous faire une idée du bonhomme :

Владимир Высоцкий - Кони привередливые
Durée : 04:02

Sur le chemin du stade, on fait la connaissance de notre deuxième chauffeur. Nikita, belle moustache grise, n’a pas besoin de traducteur. Il est prof d’anglais et arrondit ses fins de mois au volant de sa voiture. Nikita adore le foot. Il y a joué petit et rêvait de devenir footballeur.

La veille, il a regardé une rediffusion à la télé de la finale du Mondial 2006 entre l’Italie et la France. « Ah ! Le coup de tête de Zidane contre le géant italien [Materazzi]. J’étais triste, la France ne méritait pas de perdre. ». Une fois ma qualité de plumitif établie, il en profite pour demander des nouvelles de l’épaule de Mohamed Salah. « Pensez-vous qu’il va jouer vendredi ? »

Son beau-fils lui a offert une place pour un match mais il ignore lequel. « Ce n’est pas Egypte-Uruguay. Ce n’est pas la France. J’ai oublié ». On lui apprend que ça sera donc soit Japon-Sénégal, soit Mexique-Suède. On blague avec lui en espérant qu’il ne sera pas installé sur l’une des deux fameuses, et terrifiantes, tribunes temporaires, construites sur des échafaudages. « Je ne sais pas mais je ne suis pas inquiet car de toute façon ils ont dit que l’on a une vue idéale sur le terrain. »

Difficile de vérifier si plus de la moitié des Russes aiment et suivent le football, comme le vante la réclame, mais on en a trouvé au moins un qui n’était pas très emballé. Notre troisième chauffeur Anton, en claquettes et l’œil rieur, a utilisé son téléphone pour nous écrire en traduction simultanée franco-russe : « Nos joueurs ne jouent pas bien et ne sont pas intéressants à regarder. » La Sbornaya a déjà la pression de bien faire.