Un chercheur de diamants à Koidu, dans l’est de la Sierra Leone, en avril 2012. / © Finbarr O'Reilly / Reuters / REUTERS

L’écrin de tous les fantasmes est devenu une fosse boueuse parsemée de nénuphars stagnants au cœur de la forêt tropicale qui couvre le grand plateau oriental de la Sierra Leone. Les pompes électriques ont été déplacées à quelques mètres de là, où de musculeux hommes en haillons charrient à la pelle des monceaux de terre. A la recherche d’un nouveau joyau. L’eau qui imbibe le sous-sol de cette région a comblé le trou. Impossible d’imaginer que c’est là, dans cette région miséreuse, au fond de ce cloaque, que les creuseurs employés par Emmanuel Momoh, pasteur sierra-léonais d’une église évangélique nigériane, sont tombés au milieu des graviers sur un diamant de 709 carats – environ 140 grammes. Soit la treizième plus grosse pierre jamais trouvée dans le monde.

Le joyau dort aujourd’hui dans l’un des coffres londoniens du joaillier britannique Laurence Graff qui se l’est adjugé pour 6,53 millions de dollars (5,6 millions d’euros) lors d’une vente aux enchères organisée le 5 décembre 2017 à New York. New York, Anvers, Londres, Tel-Aviv, Bombay. Millions de dollars, bijoux de luxe pour clients qui ne comptent pas… Les villageois de Koyadu, eux, sont à l’autre bout de la chaîne, loin, là où il n’y a ni eau courante, ni électricité. Ni murs à la salle de classe. Ni route bitumée pour atteindre la ville de Koidu, à trois quarts d’heure d’un chemin de terre piégeux pour ceux qui peuvent se payer une moto-taxi. Mais, dans les environs de Koyadu, il y a des diamants en sous-sol, mirobolants, trop beaux pour être vrais, ou alors trop petits. Sauf pour le pasteur Momoh.

Le « Diamant de la paix » a été adjugée aux enchères 6,53 millions de dollars et attribuée au joaillier britannique Laurence Graff le 5 décembre 2017 à New York. / TIMOTHY A. CLARY/AFP

Changer l’image du pays

Le chef du village de Koyadu, Sahr Lebbia, se rappelle d’autant mieux quand le diamant a été trouvé qu’il était sur place. Depuis des jours, une poignée de san san boys, les creuseurs, se relayait. Un travail de Titan, de damnés, à fouiller les entrailles de la terre. Des tonnes de glaise, combien de milliers de pelletées, avant d’atteindre, cinq mètres en dessous, la couche alluvionnaire, ces graviers parmi lesquels, au fond du tamis, on repère une pierre plus brillante que les autres ?

Pour le pasteur Momoh, ce fut le jackpot. « C’était le 8 mars 2017, se rappelle Sahr Lebbia. On était heureux, les femmes dansaient dans le village, on pensait que tout allait changer. » Puis l’euphorie est vite retombée faisant place à une attente sans illusion, celles des promesses qui tardent à être tenues.

Tout avait pourtant bien commencé. « Le deal a été transparent », se félicite Kai Saquee, l’un des premiers avertis de la découverte mirifique. Silhouette massive, démarche claudiquant depuis un accident dans sa tendre enfance, Kai Saquee est un prince, descendant de l’une des 189 chefferies du pays, celle de Tankoro, ce qui fait de lui un grand propriétaire terrien et donc de mines. « Il est incontournable, tout le business passe par lui », nous confie Ali du fond de sa boutique de commerce de diamants. En ce mois de mars 2017, « Prince Kai » décroche ainsi son téléphone et appelle la présidence de la République.

L’idée qui fera son chemin est d’utiliser cette découverte exceptionnelle pour changer l’image du pays, encore souvent associée aux hordes d’enfants-soldats drogués jusqu’aux yeux coupant mains et bras durant la guerre civile (1991-2002). Montrer que l’époque des « diamants de sang » est révolue. Pendant le conflit, ces pierres extraites dans des conditions quasi d’esclavage servaient aux seigneurs de guerre pour financer leurs achats d’armes et commettre d’autres horreurs.

Ne pas oublier les villageois

La vente de la pierre du pasteur Momoh, sans doute trop grosse pour passer en contrebande, elle, sera sans tâche, un « diamant de la paix », avait alors promis le président Bai Koroma en recevant le joyau. Le nom est resté. « Des diamantaires étrangers du monde entier ont accouru à la présidence avec des valises bourrées de dollars, il a refusé », affirme un homme d’affaires libanais de Freetown. Une première vente aux enchères est donc organisée dans la capitale quelques semaines seulement après sa découverte. Les autorités annulent l’opération expliquant que l’offre la plus élevée – 7,1 millions de dollars – était inférieure aux attentes. Finalement, la pierre sera vendue en décembre, à New York, pour… 6,53 millions de dollars.

« Le pasteur Momoh en voulait 15 millions. Au final, c’est moins qu’espéré, mais il faut croire que c’est le prix du marché pour une pierre de couleur K [légèrement rosée] », soutient Kai Saquee. Les règles de partage établies sur la base d’un gentlemen’s agreement seraient claires : 60 % pour l’Etat, 40 % pour le pasteur, moins 340 000 dollars que les cinq san san boys chanceux se sont partagés. Une fortune à l’échelle de la Sierra Leone où le revenu moyen des 5 millions d’habitants est de 5 dollars par jour.

Le gouvernement et le pasteur ont aussi juré de ne pas oublier les villageois. « Mais on n’en a pas encore vu la couleur », se lamente Sahr Lebbia. Dans un élan d’espoir mystique, Kai Saquee avertit que « cela les hantera s’ils ne le font pas ». Pourtant, ce ne serait pas la première fois que des enfants du pays oublient leurs origines une fois leur réussite assurée. Peu de villes sierra-léonaises peuvent en effet se targuer d’avoir offert au pays tant de personnalités de premier plan : première dame, vice-président, ministres en pagaille… La force qui relie les Sierra-Léonais à leur terre natale aurait ainsi dû garantir un minimum de confort aux habitants de la région. Rien de mieux en effet qu’une personnalité du coin devenue ministre pour bitumer un bout de route, construire une école ou amener l’électricité.

Incurie de l’Etat

« Certes, rappelle Kai Saquee, la guerre avait tout dévasté ici ». Seize ans plus tard, la route qui conduit vers Freetown vient seulement d’être élargie et bitumée – par une entreprise chinoise – divisant par deux le temps de trajet. Le réseau électrique, qui date des années 1980, fonctionne vaille que vaille à la tombée du jour et l’hôpital a été rénové grâce à l’aide américaine. C’est peu. « A croire qu’il n’y a pas de volonté politique », résume « Prince Kai ».

A croire également que les habitants de Koidu ne sont pas rancuniers. A la dernière élection présidentielle de mars, ils ont ainsi massivement voté pour Samuel Sam-Sumana. Originaire de la ville comme son épouse, il avait pourtant consciencieusement oublié sa ville lorsqu’il était devenu vice-président (2007-2015).

A la tombée du jour, l’obscurité qui gagne les rues en terre ravinées par les orages montre que Koidu n’a guère tiré profit de ce clientélisme qui pallie l’incurie de l’Etat sierra-léonais en matière de redistribution des richesses nationales. La ville pourtant est assise sur un trésor qui aurait pu lui assurer un autre sort. L’image de cette richesse confisquée est une terne montagne artificielle au sommet aplati, un imposant terril qui se dresse au centre-ville. Ici, des sociétés minières arrachent des diamants de roche du sous-sol, quasiment sans discontinuer depuis des décennies.

Il ne s’agit plus là d’artisanat mais d’une activité industrielle, comme l’attestent les dynamitages qui font trembler la ville plusieurs fois par semaine. On estime que les exploitants de petites mines alluviales, tels le pasteur Momoh et ses travailleurs armés de simples pelles et de tamis, assurent 20 % de la production nationale de diamants estimée, au total, à 158 millions de dollars, selon les chiffres du rapport 2016 du processus de Kimberley pour la Sierra Leone.

Opacité de gestion

Le reste, les 80 %, appartient à un autre monde. A Koidu, c’est celui de la société Octéa, enregistrée dans un paradis fiscal, et filiale à 100 % de la BSG Ressources (BSGR) détenue par le milliardaire franco-israélien Beny Steinmetz. Ce fils de diamantaire n’est pas un inconnu. Depuis 2016, des policiers américains, suisses, guinéens et israéliens le soupçonnent d’avoir corrompu des officiels guinéens, à hauteur de plusieurs dizaines de millions de dollars. Au cœur des investigations se trouve le projet d’exploitation d’un des plus grands gisements de minerai de fer au monde, à Simandou, dans l’est de la Guinée, au potentiel estimé à 20 milliards de dollars (19,2 milliards d’euros).

La même année, le Réseau africain des centres de reportage d’investigation (ANCIR) soulignait l’opacité de gestion de la BSGR qui aurait entraîné d’importantes pertes fiscales pour la Sierra Leone et Koidu en particulier. Des soupçons classés sans suite. La BSGR vient d’ailleurs d’investir 50 millions de dollars dans sa mine de kimberlite pour porter son potentiel à 400 000 carats par an. En 2016, la Sierra Leone, dixième producteur de diamants au monde, avait extrait 550 000 carats. On ne lâche pas comme ça une mine aussi prometteuse, surtout après la terrible épidémie du virus Ebola (2013-2015) qui paralysa l’activité. Il faut rattraper le temps perdu.

L’humeur est nettement plus morose chez les petits acteurs de ce milieu redoutable. « Les affaires marchent moins bien depuis dix ans. L’argent ne circule plus, on n’arrive plus à financer nos achats de machines », observe un petit diamantaire gambien. « Prince Kai », lui, se réjouit d’avoir été entendu par ses enfants qui ont choisi le secteur de la banque ou le droit. « J’ai grandi dans ce business, c’est un monde dur, impitoyable », confie-t-il. En homme d’affaires avisé, il tend le bras depuis la terrasse de sa maison vers une fenêtre voisine d’où s’échappent des chants religieux. « Tout le monde ne peut pas trouver de diamants, la religion est un meilleur business ! », lâche-t-il en souriant. Le pasteur Momoh a réussi la synthèse parfaite.