Didier Deschamps à l’entraînement, au stade de Glebovets, à Istra. / David Vincent / AP

A le voir disposer des plots d’entraînement sur la pelouse, sifflet au bec et chronomètre à la main, on se dit que Didier Deschamps est né pour devenir sélectionneur des Bleus. Au petit stade de Glebovets à Istra, où ses joueurs répètent leurs gammes avant leur premier match de Coupe du monde contre l’Australie, samedi 16 juin à Kazan, le patron de l’équipe de France plastronne en général d’une armée docile. Engoncé dans son survêtement, le technicien de 49 ans anime les exercices, multiplie les passes en retrait et chambre ses troupes comme il le faisait quand il était capitaine des Tricolores (103 sélections de 1989 à 2000).

Il ne faut plus se fier à son « bonjour » servi sur un ton geignard aux journalistes ni à ses propos pétris d’humilité : Deschamps aborde ce Mondial russe en conquérant. En poste depuis 2012, le Bayonnais souhaite clairement accrocher à son veston une deuxième étoile après celle glanée comme milieu défensif de devoir, à la maison, vingt ans plus tôt. Et ainsi entrer dans le cénacle très restreint des sélectionneurs sacrés champions du monde après l’avoir été comme joueurs, dont seuls font partie l’Allemand Franz Beckenbauer et le Brésilien Mario Zagallo.

Sa longévité à la tête des Bleus intrigue : en cas de qualification pour les huitièmes de finale, il dépasserait le record de son prédécesseur, Raymond Domenech (79 matchs dirigés). A l’aube du Mondial, « la Dèche » est l’un des techniciens les plus chevronnés du tournoi. Au même rang ou presque que le Portugais Carlos Queiroz, en poste depuis 2011 sur le banc de l’Iran, l’Argentin José Pekerman, à la tête de la Colombie depuis 2012, l’Uruguayen Oscar Tabarez et l’Allemand Joachim Löw, indéboulonnables aux commandes de leur équipe nationale depuis 2006. Bien calé dans son fauteuil de sélectionneur, Deschamps peut voir loin.

Même une sortie de route prématurée en Russie ne scellerait pas son sort, comme l’a encore répété, jeudi 14 juin, le président de la Fédération française de football (FFF), Noël Le Graët. « Quoi qu’il arrive, Didier sera encore là après le Mondial », assure le patron du football français, qui a fixé aux Bleus l’objectif minimal d’atteindre le dernier carré du tournoi. Au camp de base d’Istra, le dirigeant affiche son soutien sans faille au sélectionneur. Au gré des années et des épreuves, le tandem est devenu indestructible. « Didier fait bien son boulot et a toujours répondu aux attentes de façon très positive », estime Noël Le Graët. Une mise au point nécessaire : la démission du Real Madrid de son probable successeur, Zinédine Zidane, avait ouvert une brèche. Soudain, en cas d’accident grave, un recours existait.

« Pas la peine d’essayer, je n’entends pas vos questions sur Zinédine Zidane. » / David Vincent / AP

Mais tout devait être fait pour que Deschamps puisse préparer ce Mondial russe dans la sérénité. Il y a bien eu, outre la démission de Zinédine Zidane, la lettre incendiaire d’Adrien Rabiot, refusant son statut de réserviste. Mais ce ne sont que des peccadilles en comparaison des polémiques et de la cascade de forfaits qui avaient émaillé l’avant-Euro 2016.

A la tête d’un staff dévoué, épaulé par son adjoint et homme lige, Guy Stéphan, Deschamps règne sur ces Bleus en souverain. En position de force, le sélectionneur fait preuve d’autorité avec les journalistes, qui le ménagent dans la mesure du possible. « Je répondrai à toutes les questions avec le minimum de respect que je dois à chacun d’entre vous. Même si je vous donne le sentiment de n’avoir pas répondu », glisse-t-il en conférence de presse. Passé maître dans l’art de l’esquive, il renvoie dans les cordes ceux qui glosent sur l’introuvable « identité de jeu » des Bleus. Une notion toute relative pour cet insatiable gagneur, soucieux de « s’adapter à l’adversaire ».

Parfois, il se cabre, blessé par les critiques et les insinuations, comme après la diffusion, en mai sur France 2, du numéro de « Complément d’enquête » qui lui était consacré. Un documentaire « à charge », selon son entourage. Cela lui arrive aussi de boycotter certains médias, tel Le Monde, snobé depuis 2015 pour, paraît-il, son traitement de l’affaire Benzema.

On le dit revanchard et soucieux de laver l’affront de la finale de l’Euro 2016 perdue contre le Portugal. Dans le huis clos d’Istra, il n’hésite pas, à l’approche de l’entrée en lice contre l’Australie, à mettre de côté des cadres (Olivier Giroud, Blaise Matuidi), et se prépare à lancer dans le grand bain ses jeunes prodiges, Kylian Mbappé et Ousmane Dembélé. Avec cette ambition chevillée au corps : remporter la Coupe du monde.