Ils s’appellent Oliver, Pablito, Mc Gee ou encore Mark. La plupart du temps, il s’agit d’un faux nom. Ce sont des harceleurs rencontrés en ligne, voire pour certains des agresseurs. Ils sont les personnages principaux de vidéos que leurs victimes postent sur YouTube.

« Terrifiant » ; c’est le terme qui revient régulièrement dans les récits des nombreuses youtubeuses qui partagent leurs mauvaises expériences sur les sites de rencontre, et plus particulièrement sur l’application Tinder et ses harceleurs nichés parmi les 50 millions d’utilisateurs revendiqués (Tinder stalker en anglais). Plus de mille vidéos sont référencées sous cette expression, démontrant non seulement l’ampleur du phénomène mais aussi que ce genre de récit est devenu un exercice de style à part entière sur la plate-forme.

Dans l’une d’elles, Dora explique ainsi discuter depuis cinq jours avec Oliver. Très occupée par ses examens, elle ne donne pas suite immédiatement aux messages du quadragénaire qui la bombarde de relances. Elle s’excuse. Oliver répond : « ça craint Dora, Dora Egan ». Or, elle ne lui avait jamais donné son nom de famille. « Je sais tout depuis le jour où on a commencé à parler… même ton numéro de téléphone », continue-t-il avant de finir par s’excuser s’il a été « ennuyant ». Sans se départir d’un large sourire, Dora Egan partage sa sidération et sa colère. « J’espère que vous avez aimé la vidéo », conclut-elle toutefois.

Dénoncer les comportements

Le ton badin a de quoi surprendre quand il s’agit de parler de harcèlement. S’il colle à la rhétorique des vidéos YouTube, il témoigne aussi de la banalisation du harcèlement sur les applis de rencontre. Ici, l’exercice est motivé à la fois par la volonté de partager avec d’autres femmes, mais aussi de dénoncer ces comportements auprès des hommes. « Peut-être que personne ne te l’a jamais dit, ou que je ne te l’ai pas dit sur le moment, mais ce que tu as fait est mal », lance en début d’enregistrement Stéphanie Umbert, une youtubeuse péruvienne qui raconte que son rendez-vous a été jusqu’à l’attendre en voiture devant chez elle et espionner ses allées et venues.

Storytime: Mi STALKER de #TINDER 🔥
Durée : 10:42

Depuis des années sur YouTube, les formats de vidéo sont codifiés et libellés par des termes renvoyant à des sujets bien précis : il y a les « hauls », les « vlogs », les « Get ready with me », les « FAQ »… Mais aussi les « storytimes », un format né dans les pays anglo-saxons qui fait référence aux histoires racontées avant d’aller dormir. A la sauce YouTube, les contes relèvent plus des anecdotes personnelles émouvantes, surprenantes ou parfois honteuses que des vidéastes partagent avec leurs abonnés. Ceux-ci ne sont pas là uniquement pour divertir, à l’image des témoignages sur les harceleurs Tinder.

Un phénomène antérieur à #MeToo

Le témoignage d’Ashley Elizabeth pourrait à lui seul résumer la grande majorité des récits sur YouTube de femme harcelées par le biais de ces applis : « Il paraissait normal, les discussions étaient normales. […] Cela aurait pu juste s’arrêter sur un rendez-vous gênant. » Et bien qu’elle lui ait bien fait comprendre qu’il ne se passerait rien, « chaque fois qu’[elle] regardai [t] le téléphone, [elle] avait dix nouveaux messages de lui ».

MY CRAZY OBSESSED TINDER DATE
Durée : 09:31

Si le mouvement #MeToo a libéré la parole de victimes de harcèlement sexuel y compris sur YouTube, ces types de récit existaient bien avant. Dans l’absolu, ces vidéos ne font pas une énorme audience, mais elles font partie des plus consultées sur les chaînes des femmes qui les réalisent. Simple voyeurisme ou nécessité de partager une expérience commune, difficile d’expliquer l’engouement des spectateurs. Les commentaires disparates n’aident pas à mieux comprendre : ils vont le plus souvent d’une majorité de messages de soutien jusqu’à des propos dragueurs malvenus. Les « storytimes » sont parfois critiquées par des internautes questionnant leur véracité ; les histoires de Tinder stalker beaucoup moins. Preuve s’il en faut que le phénomène n’a rien de virtuel.