Manifestation à Turin (Italie) le 12 juin, contre la décision du ministre de l’intérieur Matteo Salvini de ne pas laisser accoster l’« Aquarius » en Italie. / Alessandro Di Marco / AP

Editorial du « Monde ». Matteo Salvini, en bon dirigeant d’extrême droite, a mis à profit ses premiers jours au pouvoir, à Rome, pour déchaîner sa hargne anti-migrants : le dirigeant de la Ligue a fermé les ports italiens au navire de sauvetage Aquarius et à ses 629 passagers recueillis au large des côtes libyennes.

L’errance du bateau aurait pu durer longtemps si le nouveau gouvernement espagnol du socialiste Pedro Sanchez ne s’était pas proposé de l’accueillir à Valence, où il devrait accoster d’ici au dimanche 17 juin.

L’objectif est double pour le vice-président de la coalition formée avec le Mouvement 5 étoiles. Il s’agit d’abord d’afficher sa détermination contre les migrants et autres réfugiés candidats à l’exil dans la prospère Europe. Le dirigeant souverainiste cherche sans doute aussi à démontrer que l’Union européenne n’a pas pris la mesure de la menace qui pèserait sur elle, et qu’elle est, pire encore, tout simplement incapable d’y faire face.

Ce faisant, il tend un piège redoutable aux dirigeants du continent, à l’avant-veille de la campagne pour les élections européennes de mai 2019, alors que tout annonce qu’elles se focaliseront sur les enjeux migratoires.

Des mesures drastiques

La démonstration est d’autant plus facile que les Etats européens ont été dans l’incapacité, ces dernières années, de coordonner leurs réponses face à ce qu’il est convenu d’appeler la « crise migratoire ». Ils ont eu du mal à faire preuve de solidarité, comme l’a montré la dérive de l’Aquarius. Du mal aussi à réformer les procédures mises en place pour gérer les demandes d’asile dans une Europe où cette compétence reste du ressort national – le règlement de Dublin, qui oblige les candidats à déposer leur requête dans le pays de première entrée, l’Italie, la Grèce ou l’Espagne en l’occurrence.

A en croire M. Salvini, l’Europe ne serait pas redescendue du pic migratoire qu’elle a connu en 2015, quand un million de personnes avaient risqué leur vie pour rejoindre ses côtes, pour l’essentiel via la mer Egée, entre la Turquie et la Grèce. Mais il est trompeur d’entretenir cette illusion. En réalité, le nombre d’arrivées sur les côtes européennes est sous contrôle, très loin des sommets atteints en 2015.

Trois ans plus tard, 35 000 personnes ont fait de même depuis janvier, cette fois plutôt par la route italienne, d’après les estimations du Haut-Commissariat aux réfugiés. Pour la seule Allemagne, principal pays de destination, le nombre des demandeurs d’asile est ainsi en fort recul depuis trois ans : il a atteint, en 2017, son niveau des années 1990, soit 233 000 personnes, en baisse de 70 % par rapport à l’année précédente (contre 128 000 en Italie et 100 000 en France, en hausse).

Les départs de Libye réduits

Entre-temps, l’Union européenne et ses Etats membres ont pris des mesures drastiques, souvent controversées d’ailleurs, que les forces d’extrême droite font naturellement mine d’ignorer. Sous l’égide d’Angela Merkel, un accord a été signé, au printemps 2016, avec la Turquie du président Erdogan, afin de réduire les arrivées en Grèce et de fermer la route des Balkans empruntée par les migrants pour rejoindre le nord de l’Europe. Au grand dam des organisations humanitaires, ce compromis prévoyait même de pouvoir renvoyer vers la Turquie les personnes déboutées de l’asile par Athènes. Une clause qui n’a pas été appliquée.

De la même manière, le gouvernement de centre gauche italien, battu par les forces antisystème le 4 mars, a réussi à réduire très sensiblement les départs de Libye, en passant des accords plus ou moins officiels avec les autorités et les factions du pays. Le ministre de l’intérieur de l’époque, Marco Minitti, s’est employé à couper l’herbe sous le pied des partis extrémistes, dont la Ligue de M. Salvini. Cela ne s’est pas révélé suffisant, mais ce n’est pas une raison pour tomber dans le piège tendu par l’extrême droite européenne. Qui entend bien faire son miel des peurs, lors du scrutin européen de 2019.