Gernot Rohr, le 6 juin 2018 en Autriche. / HEINZ-PETER BADER / REUTERS

Gernot Rohr, l’ancien défenseur des Girondins de Bordeaux (1977-1989), avait déjà dirigé trois sélections africaines (Gabon, Niger et Burkina Faso), avant de prendre en main les Super Eagles nigérians en 2016. Avec son adjoint Yusuf Salisu, le technicien franco-allemand a qualifié son équipe pour sa sixième phase finale depuis 1994, la troisième consécutive. Quelques semaines avant l’entrée en lice du Nigeria, qui affronte samedi 16 juin la Croatie, Gernot Rohr s’est confié au Monde.

Le Nigeria affrontera au premier tour l’Argentine, la Croatie et l’Islande. Quelles sont ses ambitions ?

C’est un groupe où il faut s’attendre à des oppositions de style. L’Argentine et la Croatie sont pour moi les deux favoris. Avec l’Islande, nous sommes les outsiders. Les Argentins et les Croates ont de très grands joueurs avec Messi, Aguero, Higuain d’un côté, Rakitic, Modric ou Mandzukic de l’autre. Ils évoluent dans les meilleurs clubs du monde. Attention aussi à l’Islande, qui a fait un très bel Euro 2016. Nous, nous avons aussi nos atouts. La jeunesse, l’esprit d’équipe et le talent. Mais nous n’avons pas d’éléments qui évoluent dans les grandes équipes européennes, hormis Alex Iwobi, qui joue peu à Arsenal. Au Nigeria, beaucoup de supporteurs nous imaginent au moins en demi-finale ! J’essaie de tempérer cela, mais ce n’est pas évident.

Il y a de grosses attentes autour de la sélection ?

La pression est énorme ! J’ai entraîné le Gabon, le Burkina Faso et le Niger, mais c’était plus tranquille. Le Nigeria, c’est 200 millions d’habitants et un peuple dingue de foot. Quand j’ai été nommé en 2016, on m’a fixé comme objectif une qualification pour la Coupe du monde. C’était ça et rien d’autre. J’avais beau rappeler que ce ne serait pas facile avec le Cameroun, l’Algérie et la Zambie dans notre groupe, il ne fallait pas discuter !

Quand tout marche bien, c’est fabuleux. En revanche, c’est plus compliqué quand les choses fonctionnent moins bien. Je comprends ces attentes, d’autant plus que le Nigeria a manqué les deux dernières CAN [Coupe d’Afrique des nations]. Bien sûr, nous aurons des ambitions en Russie. Essayons d’abord de passer le premier tour, sachant que si c’est le cas, on pourrait affronter la France en huitièmes de finale. Mais le vrai objectif pour nous, c’est la CAN 2019 au Cameroun. On veut y aller et la gagner. La Coupe du monde va nous faire progresser. Notre équipe y sera sans doute la plus jeune, avec une moyenne d’âge d’un peu plus de 24 ans.

Devez-vous éviter certaines régions lorsque vous êtes au Nigeria, dont une partie du pays subit les attaques de la secte Boko Haram ?

On me déconseille d’aller au Nord. Hélas, c’est presque l’ensemble du pays qui est confronté à l’insécurité, même si certaines régions sont plus touchées que d’autres. Cette violence est le gros problème du Nigeria. C’est un pays assez étonnant, diversifié, avec ses traditions, ses langues, sa culture…

Certains de mes joueurs, tels Obi Mikel, Onazi, Simon, Musa, sont originaires de Jos, dans le centre, une ville durement frappée par les attentats. Musa ne retourne plus dans sa ville natale pour des raisons de sécurité.

Evoquez-vous avec eux la situation politique du pays ?

Non. On passe peu de temps ensemble, lors des rassemblements. On parle de foot, de la famille. Mais je sais qu’ils suivent de très près la situation de leur pays. On sent leur inquiétude. Le pays est soumis à des tensions ethniques et religieuses. La sélection nationale est en revanche épargnée par tout cela depuis longtemps. Dans mon équipe, il y a des chrétiens, des musulmans, différentes ethnies, des gens du nord, du sud, de l’est, de l’ouest, du centre. Cela ne pose aucun problème. Au contraire, la sélection nationale est un facteur d’unité. Les Nigérians adorent leur équipe.

Vous ne faites que très rarement appel à des joueurs évoluant dans le championnat nigérian. Vous en fait-on le reproche ?

D’abord, j’ai la chance de ne subir aucune interférence politique dans mon travail. On ne me conseille pas de sélectionner des joueurs en raison de leur origine ethnique, de leur région ou de leur religion. Si je ne sélectionne en effet que très peu de locaux, les raisons sont purement sportives. Les clubs nigérians n’ont pas obtenu de très bons résultats en Ligue des champions ou en Coupe de la CAF [Confédération africaine de football]. Cela renvoie forcément au niveau du championnat et cette question fait débat au pays.

Vivez-vous avec le Nigeria une aventure particulière ?

Elle est unique car ce pays est incroyable ! Humainement, sportivement, je vis des choses très intenses. C’est assez particulier. Les dirigeants ont prolongé mon contrat de deux ans [jusqu’en 2020], c’est une marque de reconnaissance pour le travail accompli. Oui, parfois, être le sélectionneur du Nigeria demande beaucoup d’énergie. Mais je mesure à quel point j’ai la chance de vivre cette aventure.