Dix-neuvième édition de la marche Existrans à Paris (en octobre 2015), en faveur des droits des personnes transgenres. / VINCENT PALMIER/AFP

Depuis l’annonce de son changement de genre, le 17 mai, à l’occasion de la journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, le comédien et humoriste Océan a eu à cœur de rappeler les nombreuses discriminations dont sont victimes les personnes transgenres. « Il y a encore beaucoup de transphobie, notamment de la part de l’Etat, puisqu’il est encore très compliqué de changer d’état civil », souligne-t-il dans une interview accordée au Média. Promulguée le 18 novembre 2016, la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle a pourtant grandement facilité le changement d’état civil pour les trans.

Désormais, toute personne majeure ou mineure émancipée « qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe à l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification » devant un tribunal de grande instance. Surtout, les requérants n’ont plus à apporter la preuve « irréversible et médicale d’une transformation physique ».

« Une première victoire », saluée par Clémence Zamora-Cruz, porte-parole de l’Interassociative lesbienne, gaie, bi et trans (Inter-LGBT) :

« Il y avait urgence. Depuis 1992, la jurisprudence exigeait qu’une personne trans soit opérée — et donc stérilisée — sous hormonothérapie et suivie par un psychiatre pour recevoir de nouveaux papiers. Notre apparence devait correspondre à l’idée qu’une société bourrée de stéréotypes de genre se fait d’un homme ou d’une femme. »

« Nous ne sommes pas des délinquants ! »

Pour la représentante associative, l’avancée offerte par la loi de 2016 est encore « largement perfectible ». « On reste confrontés à l’arbitraire d’un magistrat, déplore-t-elle. Pourquoi doit-on encore passer devant un juge pour justifier de son identité ? C’est humiliant. Ce que nous réclamons, c’est une procédure libre et gratuite sur simple déclaration. » De son côté, Stéphanie Nicot, vice-présidente de la fédération LGBT, un regroupement d’associations LGBT régionales, dénonce une loi « grotesque car judiciarisante » et « qui n’a d’autre but que d’emmerder les personnes trans » :

« Nous ne sommes pas des délinquants ! On ne réclame rien de particulier, juste un peu de simplicité. En Argentine, le changement d’état civil se fait sur simple déclaration en mairie. Même chose en Irlande. Pourquoi ne pas s’en inspirer ? »

En France, cette procédure simplifiée a été instaurée par la loi justice du XXIe siècle, mais uniquement pour les demandes de changement de prénom, qui se font désormais en mairie sur simple demande motivée. Toutefois, si l’officier d’état civil doute de l’intérêt légitime de la demande, il peut saisir le procureur.

« Cette loi n’est pas parfaite, mais globalement il faut reconnaître que la nouvelle procédure [de changement d’état civil] est plus facile et plus légère », résume Sun Hee Yoon, présidente de l’association commune trans et homos pour l’égalité (Acthé). En Ile-de-France, elle a accompagné six requérants dans leurs démarches depuis le vote du texte. Résultat : tous ont obtenu leur changement d’état civil en un délai de deux à six mois, contre un à deux ans auparavant. En revanche, une fois que le TGI a émis le jugement, le procureur n’est pas contraint par la loi pour transcrire la décision sur les registres d’état civil. Et là, les délais varient de trois à six mois.

Plus de recours obligatoire à un avocat

« La plupart des dossiers passent sans problème, même si certains TGI font de la résistance », dit Stéphanie Nicot, dont l’association a récemment saisi le Défenseur des droits pour recadrer un magistrat de Bordeaux qui exigeait des pièces médicales pour valider un dossier. Jules, coprésident de l’association OUTrans, évoque la même difficulté au TGI de Versailles : « Avant même d’être convoqué, un requérant a été informé par courrier qu’il risquait d’être débouté car, n’ayant pas été opéré il était susceptible d’être enceinte, ce qui est perçu par le TGI comme contradictoire avec la demande de changement d’état civil”. On était très déçus de cette loi. Depuis sa mise en application, on reste plutôt perplexes… » explique-t-il en dénonçant une « médicalisation de fait ». Car la loi, si elle n’oblige plus à fournir des pièces médicales, n’interdit pas non plus à une personne d’en ajouter à son dossier. C’est ce que font certains transgenres, qui pensent que cela pourra « jouer en leur faveur ». « Mais on peut difficilement reprocher cet état de fait au législateur », concède Sun Hee Yoon.

Pour la responsable associative, un aspect « très positif » du texte est la fin du recours obligatoire à un avocat, qui engendrait avant « des frais qui pouvaient aller de 500 à 2 000 euros ». Et en cas de recours devant la Cour européenne des droits de l’homme — procédure qui court bien souvent sur plusieurs années — l’addition finale était beaucoup plus élevée. Mais là encore, Stéphanie Nicot voit rouge :

« Avec ou sans avocat, il faut quand même rédiger une requête et se frotter au langage juridique. Et ça, ce n’est pas évident pour tout le monde. C’est une façon de discriminer les trans isolés ou éloignés du monde associatif. Ces personnes, bien souvent, prennent un avocat malgré tout. C’est la limite de la judiciarisation. »

A ce jour, les associations de défense des droits des trans n’ont eu écho d’aucun jugement négatif. « C’est pénible mais au pire, en cas de refus, on fera appel. Cela nous ferait perdre du temps mais la jurisprudence devrait nous donner raison », estime Jules, qui ajoute : « Ce serait quand même plus simple de supprimer la mention du sexe à l’état civil pour l’ensemble de la population. Il faudrait sortir du modèle binaire homme/femme. A-t-on vraiment besoin d’indiquer son genre sur ses papiers ? »