Les candidats débriefent leur sujet avec Christine Leroy, professeure de philosophie à l’Ecole internationale bilingue, à Paris, lundi 18 juin 2018. / Soazig Le Nevé / Le Monde Campus

Elle fend l’attroupement qui s’est formé au bas de l’escalier, pour apparaître dans le champ de vision de sa professeure de philosophie. D’un geste du doigt, elle désigne les larmes imaginaires qui coulent sur ses joues. C’est raté, Lila* en est persuadée.

Dans le brouhaha ambiant, entourée déjà d’une demi-douzaine de candidats avides d’un premier retour sur leur composition, Christine Leroy lui fait un petit signe. « Tu viens me voir après ? » La jeune fille se laisse tomber sur le banc, rapidement rejointe par une autre élève qui s’affale sur le sol pour mieux montrer qu’elle vient de « toucher le fond ». « Dans ma tête, il n’y avait qu’une seule épreuve, c’était la philo. Je suis en L, c’est mon coefficient 7 et je vais avoir 3/20 », lâche Zoé*qui n’a « vraiment pas aimé » le sujet « la culture nous rend-elle plus humain ? ».

Il est midi passé de quelques minutes et le hall de l’Ecole internationale bilingue (EIB), à Paris, est noir de monde. De la synthèse des impressions de tous les candidats émerge un sabir, composé en direct, où l’on passe du désir à l’injustice et de la vérité à la sensibilité à l’art. Les 100 % de réussite et 84 % de mentions obtenues par leurs prédécesseurs de la session 2017 n’ont visiblement pas eu pour effet de désacraliser l’examen ou de le classer au rang de simple formalité chez ces élèves majoritairement issus des beaux quartiers.

Christine Leroy, prof de philo dans les trois séries générales, s’approche des deux jeunes filles prostrées après leur épreuve. « Madame, quand on regarde les corrigés et qu’il n’y a pas un mot en commun avec ce qu’on a écrit soi-même sauf l’intitulé du sujet, il y a de quoi en conclure qu’on a tout foiré », introduit Zoé. « L’impression d’avoir fait un hors sujet est souvent l’expression d’un cerveau déconnecté, tempère Christine Leroy. Or, c’est juste l’expression de ton émotion maintenant, mais pas de ton travail. »

« J’ai trop mal à la tête ! »

Derrière ses grandes lunettes, Lila hoche la tête, moitié convaincue. Sa prof poursuit : « Maintenant, oublie cette épreuve, car tu n’as plus aucune maîtrise sur elle. Tu peux en croire mon expérience, moi qui ai passé des tas de concours. Il faut te dire qu’à mesure qu’il y a des épreuves passées il en reste moins devant toi. Il faut avancer ! »

Totalement euphorique, Simon*, lui, sauterait bien au cou de Christine Leroy. « Madame, c’est génial ! Vous avez pressenti nos sujets ! », s’exclame l’élève de terminale ES qui a planché sur la question « peut-on être insensible à l’art ? ». « Même s’il n’y a pas de règle intangible, je vous avais dit qu’en L, c’est souvent la culture, en ES, l’art et, en S, le désir », acquiesce modestement l’enseignante.

« Je vous avoue que j’aurais bien aimé zyeuter vos copies, mais cette fois je ne pouvais pas ! », dit en souriant Christine Leroy, qui corrigera tout de même 150 compositions d’élèves en « S spécialité SVT » scolarisés dans un autre lycée.

Stanislas est en S et a fini tellement en avance (au bout d’une heure et quarante-cinq minutes) qu’il a eu l’idée de recopier l’intégralité de sa dissertation sur une autre copie, afin de pouvoir la soumettre à sa prof. « “Eprouver l’injustice, est-ce nécessaire pour savoir ce qui est juste ?”, c’était un beau sujet », estime le candidat, très enthousiaste. « J’ai montré d’abord qu’il pouvait être difficile de dissocier la justice de l’injustice. J’ai parlé du yin et du yang, dans la philosophie chinoise, mais aussi de la cohésion de l’atome qui peut avoir une charge positive ou négative », détaille Stanislas en parcourant des yeux sa prose devant ses amis.

« Je ne me souviens plus du sujet sur le désir… C’était quoi déjà ? », interroge un autre, encore un peu sonné par l’épreuve de la matinée. « Le désir est-il la marque de notre imperfection ? », lui remémore Christine Leroy. « Ah oui, bien sûr ! J’ai dit que le désir était une conséquence de l’imperfection, puis j’ai inversé… Mais je sais pas si j’ai bien fait ! Raaah, en fait, j’ai trop mal à la tête ! »

« Je me suis perdue dans la philo »

Captivée par les retours de ses élèves, la professeure de philosophie écoute plus qu’elle ne s’exprime. Quand les uns se font fort de retracer, de tête, le cheminement de leur démonstration, les autres tiennent fébrilement leurs feuilles de brouillon couleur vert pâle, témoins du labeur accompli : « Oui, tu as de bonnes références » ; « Ah, tu as cité Descartes sur le désir ? » ; « C’est bon, tu n’es pas partie à côté du sujet »… La voix de l’enseignante apaise. Les visages s’éclairent et les candidats, prestement, disparaissent.

A peine vingt minutes après la fin de l’épreuve, dans le hall de l’EIB, il ne reste personne, à part Lila et Zoé. Abattues, les deux jeunes filles, trop déçues, ont encore du mal à se projeter. « Madame, vous avez une méthode pour apprendre toute l’histoire-géo en un après-midi ? », lâche l’une d’entre elles.

Un peu interloquée, Christine Leroy lui demande de répéter sa question. « Pendant deux semaines, je me suis perdue dans la philo et je n’ai rien fait d’autre », explique Lila. « Surtout, ne cherchez pas à lire des choses nouvelles. Relisez les cours que vous connaissez bien, cela vous rassurera », conseille la prof. « Au fait, tu as une évolution sur Parcoursup ? », s’enquiert-elle comme pour faire diversion. « Oui, je suis passée cinquième sur liste d’attente à Victor-Hugo », répond Zoé. Et de conclure, lapidaire : « Mais la prépa, c’est pas fait pour moi. L’épreuve de philo vient de me le montrer. »

*Les prénoms ont été modifiés.