Dimanche 17 juin, Ivan Duke célèbre, à Bogota, avec ses supporters son élection à la présidence de la Colombie. / RAUL ARBOLEDA / AFP

Editorial du « Monde ». La large victoire d’Ivan Duque, le candidat de la droite dure à l’élection présidentielle en Colombie, le 17 juin, fait planer l’incertitude sur l’avenir de la paix négociée avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). L’accord signé par le président sortant, Juan Manuel Santos, n’a cessé depuis d’être fustigé par le parti de M.Duque, le Centre démocratique (CD), fondé et dirigé par Alvaro Uribe, le prédécesseur de M. Santos et mentor du nouveau président.

Cet accord, qui a été applaudi par la communauté internationale et qui a valu à son instigateur le prix Nobel de la paix en 2016, n’a pas eu les effets politiques escomptés. Malgré une économie florissante au cours des deux mandats de M. Santos, qui a permis à la Colombie d’être admise au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques, celui-ci quitte le pouvoir avec une cote de popularité au plus bas.

Son départ permet de remettre en selle une droite qui, depuis le début des négociations de paix, l’accuse d’avoir livré le pays au « castro-chavisme ». Même si M. Duque n’a pas utilisé le terme pour se hisser au pouvoir, il ne s’est jamais démarqué de ses alliés et sait quelle résonance peut avoir le terme au sein de la population, alors qu’un million de Vénézuéliens, ayant fui le régime de Nicolas Maduro, sont actuellement réfugiés en Colombie.

La droite « uribiste » truste la plupart des postes-clés

L’essence de ce « castro-chavisme » honni est la concentration des pouvoirs. Or, aujourd’hui, c’est la droite « uribiste » qui truste désormais la plupart des postes-clés avec M. Duque à la tête de l’exécutif et M.Uribe à la tête du Congrès où la droite dispose d’une solide majorité. Le projet de réforme de la justice porté par le CD, visant à supprimer la Cour constitutionnelle, est interprété par l’opposition comme une volonté de mettre la justice au pas. Enfin, la campagne a rappelé que les grands médias privés lui sont très favorables.

L’opposition aura toutefois la possibilité de jouer son rôle de contre-pouvoir. Le candidat de gauche, Gustavo Petro – grand gagnant du processus de paix – a en effet obtenu 42 % des voix. Il s’agit là d’une situation très nouvelle dans ce pays où les candidats et militants de gauche, syndicalistes, leaders paysans et divers activistes, ont subi, depuis trente ans, une persécution sans comparaison en Amérique latine, près de trois cents leaders ayant été assassinés depuis le début du processus de paix.

Il y a quelques mois encore, certains dirigeants du CD promettaient de « déchirer en mille morceaux l’accord de paix » lorsque le parti reviendrait au pouvoir. Au cours de sa campagne, M. Duque a été plus prudent en promettant qu’il y apporterait des « corrections » pour le rendre plus « équilibré ». Mais il est un président jeune (41 ans) et inexpérimenté : simple sénateur depuis 2014, Il n’a jamais occupé de poste important au sein de l’administration colombienne ou de l’exécutif. Alors qu’il doit son ascension politique à M. Uribe, parviendra-t-il à s’affirmer face à son mentor, qui, malgré ses démêlés judiciaires, reste incontournable sur la scène politique colombienne ?

Même si l’application de l’accord de paix avec les FARC accuse un sérieux retard et qu’une grande partie de l’électorat y est opposé, M. Duque doit désormais agir avec prudence. En remettant en question cet accord de façon trop radicale, il prendrait le risque de faire renaître les FARC de leurs cendres et de replonger le pays dans de graves incertitudes.