Vice-présidente de la Fédération française de football (FFF) et chargée du développement du football féminin, Brigitte Henriques, 47 ans, se décrit comme « une passionnée de football depuis toujours ». Sélectionnée 31 fois en équipe de France et championne de France à trois reprises sous les couleurs de FCF Juvisy, dans les années 1990, cette dirigeante a toujours aimé jouer et regarder ce sport perçu majoritairement comme masculin.

Pensez-vous que les valeurs sportives ont encore leur place, à l’heure du foot business ?

Il suffit de regarder le match de France 98 mardi 12 juin, la communion des 33 000 spectateurs qui chantaient La Marseillaise si fort qu’on n’en entendait plus la chorale. Dans ce genre d’événements, c’est toute la population française qui est là. Car après tout, quel sport rassemble autant que le football ? Quel sport a autant de spectateurs ? Nos valeurs sont la solidarité, le plaisir et le respect.

En France, il y a des dizaines de milliers de matchs chaque week-end. Les médias signalent toujours quelques incivilités, il ne faut pas les nier, mais ce sont des actes minoritaires qui prennent énormément de place.

Le 28 mai dernier, on a signé une convention avec le ministre Jean-Michel Blanquer, afin de favoriser les formations au football des enfants en France. Il y a aujourd’hui 2 millions de licenciés et 5 millions de pratiquantes et pratiquants du football en France. C’est pourquoi on s’est engagés sur ce dispositif pour éduquer les enfants, filles comme garçons, aux valeurs du foot à l’école. Cela signifie que 25 000 gamins seront éduqués selon ces principes. Ils pourront donc pratiquer ce sport à l’école en étant encadrés par des enseignants, qui seront formés. C’est ce genre d’initiatives que les médias devraient relayer.

Les instances du football sont-elles en cours de féminisation ?

Pour ce qui est du fonctionnement de la FFF, le président, Noël Le Graët, a déclaré qu’il faisait ses choix selon les compétences des personnes, et pas en fonction de leur sexe. Et il a nommé par la suite une directrice générale [Florence Hardouin, depuis élue au comité exécutif de l’UEFA] et une secrétaire générale [Laura Georges]. Ceci prouve qu’il est capable d’actes forts, et que ce n’était pas que des paroles.

Mais il faut rappeler que sur les 2 millions de licenciés du football en France, seulement 7 % sont des filles. Quant aux organes de direction, il n’y a que deux présidentes de district, sur 80 districts, ce n’est donc pas suffisant. Et il n’y a pour l’instant aucune présidente de ligue. Nous avons encore du chemin à faire, et cela est dû au poids de l’histoire.

Avec la Coupe du monde féminine en France en 2019, nous acquerrons une grande visibilité et les lignes bougeront encore, même si le chemin n’est pas facile. Il ne faut pas oublier qu’en 1940, il était interdit aux femmes de jouer au football.

Quant aux postes administratifs et décisionnaires, ça doit bouger. Le fonctionnement fédéral a présenté un bilan très positif en 2016, notamment en ce qui concernait sa commission fédérale de féminisation du football. Et du 15 au 17 juin, nous serons très présents lors du premier salon international du sport féminin, porte de Versailles, à Paris.

Quelles sont les forces et les faiblesses du football féminin ?

Ce n’est pas différent du football masculin, le jeu est le même, le football est le même. J’ai été joueuse, j’ai aussi un diplôme d’entraîneure, et les formations sont les mêmes. On doit bien reconnaître que les hommes courront toujours plus vite et seront toujours plus puissants, mais c’est un tort de comparer. On a des qualités qui sont les nôtres et les hommes ont les leurs. Aujourd’hui, le football féminin dispose de conditions de pratique de haut niveau plus faciles d’accès, mais ce n’est que la moitié du chemin.

Quel impact la Coupe du monde du football peut-il avoir sur le football féminin ?

L’Euro ou la Coupe du monde sont toujours des événements à la suite desquels il y a un afflux de licenciés. On est passés de 78 000 licenciées en 2011 à 159 000 aujourd’hui, les barrières culturelles sont tombées. L’impact est fort chez les filles comme chez les garçons.

En 2018, comment se porte le football féminin en Europe et en France ?

En France, on a depuis 2011 un bilan positif. On a rattrapé le retard qu’on avait par rapport aux autres pays européens en augmentant notre nombre de licenciées, ce qui était notre objectif prioritaire. Le pourcentage de clubs proposant une formation en football aux jeunes filles est également en nette amélioration. Ils étaient 44 % en 2011, aujourd’hui ils sont 80 %. Il y avait alors 25 000 dirigeantes de club contre 38 000 aujourd’hui.

Les femmes sont donc de plus en plus présentes dans le monde du football, il y a de plus en plus de mixité dans l’ensemble des organisations. C’est important, car l’on sait que la mixité optimise les performances d’une entreprise ou d’un groupe, et offre un meilleur équilibre. Ceci est une vraie fierté pour la Fédération française de football. Et puis la Coupe du monde 2019 sera la véritable cerise sur le gâteau. C’est la France qui organise cet événement, c’est donc un vrai symbole de l’évolution de la place des femmes dans le football dans notre pays.

Quel regard les footballeurs professionnels masculins portent-ils sur leurs collègues féminines ?

Ils regardent les matchs, c’est certain. Le public est très très large et dedans il y a aussi nos homologues professionnels, mais seulement depuis quatre ou cinq ans. Des gens comme Sylvain Ripoll, entraîneur de l’équipe de France espoirs, Lionel Rouxel, sélectionneur des équipes de France des moins de 16 ans et des moins de 17 ans, ou même Didier Deschamps, reconnaissent que le jeu a progressé et est devenu attractif.

Est-ce que le public masculin regarde le football féminin de la même manière qu’il regarde le football masculin ?

Oui. Très sincèrement, ce qui a changé, c’est que depuis 2011 les matchs sont retransmis, et le jeu a progressé. Avant, c’était peut-être différent : dans les années 1970, les joueuses devaient subir des railleries et le public y allait pour regarder les jolies filles. Aujourd’hui, le public vient pour regarder le jeu.

Les médias prennent-ils au sérieux le football féminin ?

C’est phénoménal. La Coupe du monde 2019 sera retransmise sur TF1 et tous les matchs de Ligue 1 seront aussi diffusés prochainement sur Canal+. Nous sommes une des disciplines les mieux loties : des sports comme le basket, le hand ou le rugby nous envient. Mais, de manière globale, c’est sûr qu’on peut aller encore plus loin.

Pour ce qui est des disciplines sportives féminines, on en est à 14 % des retransmissions télévisées au total, il y a donc encore du travail à faire. Aujourd’hui, le sport féminin est encore trop méconnu. Avant, on nous disait souvent « vous n’êtes pas médiatisées parce que c’est lent, trop différent »… Mais les médias ont découvert que notre jeu aussi était attractif, et que les joueuses apportent de la fraîcheur. De plus, avec les retransmissions de la Ligue 1 féminine tous les week-ends l’an prochain, il y aura un effet de récurrence. Malgré tout, on est toujours obligées de convaincre encore beaucoup de gens qu’il y a un marché derrière ce jeu.

Aujourd’hui, on assiste tout de même à de vraies batailles pour obtenir les droits, ce qui est un vrai signe de changement. Lors de la Coupe du monde 2015, W9 avait payé 850 000 euros pour obtenir les droits. Pour celle de 2019, TF1 va investir 12 millions d’euros pour les droits de diffusion.

Mais finalement, il reste encore du chemin à faire, on n’a pas fini la phase de développement. On attend de la Coupe du monde 2019 que des aides soient accordées aux clubs pour accueillir les filles de manière qualitative, dans un environnement qualifié : ce serait la première étape. Après la Coupe du monde, on passera à une autre étape de développement.