Une ministre de Trump huée dans un restaurant mexicain
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Le choix du menu était pour le moins maladroit, vu le contexte. Attablée dans un recoin du MXDC Cocina Mexicana, à deux rues de la Maison Blanche, la secrétaire à la sécurité intérieure, Kirstjen Nielsen, a été prise à partie, mardi 19 juin, par des manifestants antiracistes. Aux cris de « Honte à vous ! », les militants ont mis en cause celle qui est devenue, depuis lundi, le visage de la politique anti-immigration de Donald Trump, qui permet notamment la séparation d’enfants de leurs parents, et leur placement dans des centres de rétention.

En face, la patronne du département de la sécurité intérieure (DHS) reste stoïque, inclinant légèrement son visage vers son assiette, le temps que la tempête se dissipe. Une impassibilité qui résume bien la conduite de cette ancienne juriste, depuis le début de la vague d’indignation qui traverse les Etats-Unis.

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« Soyez plus précis, s’il vous plaît »

Cette grande blonde de 46 ans a été propulsée sur le devant de la scène lundi, lors d’une conférence de presse tendue. Pressée de toutes parts, elle a soutenu bec et ongles la politique menée par Donald Trump, donnant lieu à des échanges aussi laconiques que surréalistes : « Comment cela n’est-il pas considéré comme des abus sur des enfants ? – Soyez plus précis, s’il vous plaît. »

Sur la défensive, Kirstjen Nielsen n’a pas hésité à affirmer faussement que ces séparations étaient la conséquence de « failles législatives ». Quelques heures plus tôt, Donald Trump avait pourtant assumé : « Lorsque vous inculpez des parents pour entrée illégale dans le pays, ce qui doit être fait, vous devez séparer les enfants. »

Ce gage de loyauté envers la Maison Blanche a valu à la chef du DHS les félicitations du président, qui a souligné son « travail fabuleux » dans le dossier. Mais qui est donc celle que le New York Times n’hésite pas à qualifier de « bouclier » de la Maison blanche dans cette crise ?

Nomination surprise

C’est peu dire que la nomination en octobre 2017 de Kirstjen Nielsen à la tête du département de la sécurité intérieure a surpris. Diplômée en relations internationales à l’université jésuite de Georgetown, sise à Washington, puis spécialisée en droit à l’université de Virginie, cette native du Colorado présente un CV assez modeste.

C’est dans l’administration républicaine de George W. Bush qu’elle fait ses premières armes, de 2002 à 2007, comme conseillère sur les politiques de prévention des catastrophes, rappelait début mars le New Yorker.

A l’élection de Barack Obama, Kirstjen Nielsen se tourne vers le secteur privé, se lançant dans le très porteur marché de la cybersécurité. Elle crée Sunesis Consulting, modeste entreprise de conseil, dont elle est la seule employée, raconte le Washington Post. A ce titre, elle obtient notamment un siège au forum de Davos.

A l’élection de Donald Trump, le général John F. Kelly est désigné à la tête du département à la sécurité intérieure, immense ministère né après le 11-Septembre et qui englobe les douanes, la gestion des catastrophes naturelles ou les programmes de cybersécurité. C’est par ce biais que Kirstjen Nielsen se porte volontaire pour conseiller John F. Kelly dans son processus d’auditions au Sénat.

« Le pitbull »

La consultante gagne la confiance du nouvel homme fort du DHS, au point qu’il la choisit comme « dir’cab ». En juillet 2017, John F. Kelly est promu chef de cabinet de la Maison Blanche, et Kirstjen Nielsen reste à ses côtés. John F. Kelly souligne son « sens du sacrifice quasi militaire et son inflexibilité ». Selon le Washington Post, la femme du général la surnomme « le Pitbull ».

C’est le même John F. Kelly qui poussera pour sa nomination à la tête du DHS, en octobre 2017. A la surprise générale, et malgré les critiques nombreuses sur son manque d’expérience, Donald Trump approuve. « Dans une administration normale, il n’y aurait aucune chance qu’elle ait pu être nommée », commente auprès du New Yorker un ancien cadre de l’administration Bush.

Très vite pourtant, Donald Trump commence à critiquer le laxisme de celle censée porter la politique anti-immigratoire sur laquelle il a fondé sa campagne. Au printemps, il l’attaque en pleine réunion de cabinet : les chiffres de l’immigration sont mauvais, avec plus de 50 000 arrivées en mars, avril et mai. « Pourquoi vous n’avez pas de solutions ? Pourquoi ça continue à se produire ? Nous devons fermer tout ça. On est fermés. »

Selon le New York Times, Kirstjen Nielsen en vient à rédiger une lettre de démission, devant l’impossibilité de satisfaire la Maison Blanche – une assertion contestée par le DHS. La nouvelle venue s’évertue pourtant depuis sa nomination à plaire au tenant des lieux, quitte à « risquer sa crédibilité pour éviter toute crise supplémentaire du patron », souligne le Washington Post.

« Plus opportuniste qu’idéologue »

En janvier, la secrétaire témoigne ainsi sous serment ne pas avoir entendu le président employer l’expression « pays de merde » pour désigner des pays, notamment africains, lors d’une réunion où elle était présente et où plusieurs sources affirment le contraire. Interrogée sur le dossier de l’ingérence russe dans la campagne américaine, elle affirme encore n’être « pas familière » de cette enquête, qui exaspère Donald Trump.

Lors de son audition de confirmation au Sénat, Mme Nielsen, qui a pourtant des origines scandinaves, se fait remarquer en défendant le vœu de Donald Trump d’accueillir davantage de migrants norvégiens. « La Norvège est un pays majoritairement peuplé de Blancs, n’est-ce pas ? », lui demande le sénateur démocrate Patrick Leahy. « J’ignore cela, monsieur », répond Mme Nielsen.

De fait, Kirstjen Nielsen – déterminée au point de continuer à travailler malgré une infection respiratoire qui lui vaut une côte cassée – se démène pour montrer sa loyauté. « D’après toutes les sources interrogées, elle est plus opportuniste qu’idéologue », affirme The New Yorker. « Nielsen dira et fera tout ce que la Maison Blanche lui dicte », dit un responsable cité par l’hebdomadaire.

Dans une tribune à CNN, un de ses anciens camarades d’université, « ami de trente ans de Kirstjen Nielsen », s’interroge sur la manière dont « cette même personne peut être devenue, sinon l’architecte, mais l’ingénieure de ce chapitre noir de notre nation ».

Aujourd’hui, Kirstjen Nielsen incarne le visage d’une politique à laquelle est hostile une majorité d’Américains (environ deux tiers), dénoncée par quatre ex-premières dames (Rosalynn Carter, Laura Bush, Hillary Clinton, Michelle Obama) et l’actuelle, Melania Trump. Et même si cette politique recueille une majorité de soutiens chez les électeurs républicains, le Washington Post considère que « Nielsen est probablement en train de sacrifier sa crédibilité pour quelque chose qui s’apparente à une cause perdue ».

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