Alain Fontaine, chef cuisinier du Mesturet : « Si [le bistrot] disparaît, c’est un pan de la civilisation qui se perd. » / LUCAS BARIOULET/« LE MONDE »

A la tête de l’association qui s’est créée le 11 juin 2018 pour obtenir l’inscription des bistrots et des terrasses de Paris au Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco pour leur art de vivre, le chef Alain Fontaine se démène pour donner toutes les chances à cette candidature. Le propriétaire du bistrot Le Mesturet, à Paris, a jusqu’au mois de septembre pour déposer son dossier au ministère de la culture. Celui-ci devra ensuite dire s’il sélectionne le dossier en mars 2019 pour le présenter à l’Unesco. Le travail de lobbying a commencé et les bistrotiers ont reçu un soutien de poids : celui de la maire PS de Paris, Anne Hidalgo.

Pourquoi cette candidature des bistrots parisiens au Patrimoine immatériel de l’Unesco ?

L’âme d’un bistrot, je l’ai toujours connue. Je transpire le bistrot, et beaucoup de mes camarades également. Mais on a été obligé de faire un constat. Ces lieux du vivre-ensemble considérables, très attachés à Paris, commencent à disparaître. En trente ans, le nombre d’établissements de restauration n’a pas baissé, alors que le nombre de bistrots, si. Ils représentaient 50 % de la restauration parisienne contre 14 % aujourd’hui. Il fallait agir. Si on disparaît, c’est un pan de la civilisation qui se perd.

Comment expliquer cette baisse du nombre de bistrots ?

La première menace, ce sont les nouvelles technologies, avec ce que l’on a appelé « le rentrisme ». Les jeunes de 30-35 ans rentrent chez eux beaucoup plus souvent qu’auparavant pour se faire livrer leurs repas. Ce phénomène a été amplifié par les attentats de 2015 et de 2016.

La seconde menace, ce sont les sociétés de logement pour touristes qui louent des appartements avec des cuisines personnelles. Le troisième facteur est l’envahissement des bureaux et des domiciles par de célèbres machines à café en dosettes qui ont fait disparaître le petit café du matin au bistrot.

Il y a aussi notre incapacité à transmettre nos bistrots à cause de l’augmentation des baux commerciaux. Nos affaires familiales n’intéressent pas les investisseurs, qui exigent une rentabilité bien supérieure à la nôtre. Personnellement, je sors de deux ans de pertes. Ce sont les sandwicheries, les fast-foods et les restaurants, qui n’ont pas notre amplitude horaire, qui nous remplacent.

Enfin, l’émergence de la bistronomie est aussi un élément d’explication. C’est l’art culinaire de faire de la cuisine de bistrot dans un restaurant, avec de grands chefs. Mais un restaurant qui fait de la bistronomie n’est pas ouvert en continu dans la plupart des cas.

Quelles conséquences espérez-vous pour les bistrotiers en cas de succès de votre candidature ?

On veut protéger un art de vivre qui est un brassage culturel populaire, un effaceur social, ethnique et confessionnel. On veut le partager et le faire connaître dans le monde entier. On a lancé une adhésion à notre association d’un montant de 3 euros sur notre site, ouverte au monde entier.

L’objectif est de créer un fonds pour financer des activités culturelles dans les bistrots (expositions, théâtre, peinture, signature de livres, concerts, réunions, conférences…). Si nous récoltons beaucoup d’argent, nous étendrons ce fonds à des projets d’ouverture de bistrots dans de petits villages où l’administration a disparu.

Un label « Art de vivre bistrots et terrasses de Paris » sera également créé. Pour s’en prévaloir, les membres devront respecter une charte établie par l’association.