Le sélectionneur russe Tchertchessov après la victoire de son équipe sur l’Egypte dans les phases de poule de la Coupe du monde, le 19 juin. / PAUL ELLIS / AFP

Le collectif russe a rappelé, mardi soir 19 juin, une vérité simple du football : un homme seul ne peut remporter un match. La défaite de l’Egypte face à la Russie (1-3), lors du deuxième match du groupe A, rappellera à la planète football, saisie ces derniers jours d’un emballement irrationnel, une autre évidence : Mohamed Salah, puisque c’est bien de lui qu’il s’agit, ne marche pas sur l’eau.

Couronné du statut d’icône – égyptienne, arabe, mondiale – par une époque et une région en mal de héros, le joueur de Liverpool devait pour son premier match dans la compétition porter son équipe vers les sommets. Il a marqué un penalty, tenté d’animer son flanc droit, montré quelques beaux gestes. Guère plus. Etait-il complètement rétabli ? La pression l’a-t-elle paralysé ? Là n’est pas l’essentiel. Ce statut d’icône qu’il a acquis par sa simplicité et sa modestie, à mille lieues des oripeaux du football moderne, n’est pas plus en cause. Ce sont ces qualités qui lui éviteront d’être brûlé après avoir été porté aux nues – c’est arrivé à d’autres.

La place prise par Salah dans la chronique de ce Mondial, qu’il n’a sûrement pas désirée, aura éclipsé la faiblesse de son équipe, fébrile défensivement et manquant de solutions offensives. La défaite des Pharaons contre la Russie confirme que celle face à l’Uruguay n’était pas un accident. On nous répliquera que Cristiano Ronaldo a inscrit les trois buts de son équipe contre l’Espagne. Mohamed Salah n’est pas Cristiano Ronaldo et, plus encore, l’Egypte n’est pas le Portugal.

« Parlez de mes responsabilités »

Un homme seul ne peut pas tout. On ne peut pourtant pas s’empêcher de penser à un autre acteur de ce match, le sélectionneur russe Stanislav Tchertchessov. Lui aussi est un homme simple, brut de décoffrage. Devenu entraîneur après une honnête carrière de gardien de but en Union soviétique et en Russie, on lui présenta un jour comme nécessaire l’embauche d’un psychologue pour l’une de ses équipes. « Un psychologue ? Mais pour quoi faire ? Quand je jouais au foot, il n’y en avait pas. » Réponse aussi abrupte que les montagnes de son Ossétie du Nord natale, dans le Caucase.

Surtout, lui aussi, a attiré la lumière pour son équipe, à la place de son équipe. C’était avant le Mondial, lorsque la Sbornaïa enchaînait les contre-performances. La sélection russe, incapable d’engranger la moindre victoire pendant plusieurs mois (depuis octobre 2017), balbutiait son football, et le coach semblait incapable de proposer la moindre solution, testant joueurs et stratégies les uns après les autres.

Comme Salah, qui à la veille encore du match contre la Russie assurait que les attentes placées en lui ne constituaient pas « un poids », Tchertchessov n’a pas cherché à fuir la lumière ni ses responsabilités. « Ne concentrez pas votre attention sur les joueurs, mais parlez de moi, de mes responsabilités », réclamait-il même à l’automne, s’adressant à des journalistes tout prêts à le clouer au pilori. Assumant jusqu’au bout ce rôle de leader, il n’hésitait pas non plus à écarter sèchement, au risque de provoquer un énième conflit, le milieu Igor Denissov, jusque-là un pilier de la sélection.

Pas trop personnifier

Dans la tempête, Tchertchessov mettait un point d’honneur à garder un visage impassible, tout comme Salah conserve son éternel sourire timide… Au milieu de ce concert de critiques, seul le journaliste d’Euronews Russie Pavel Gorodnitskiï distinguait une stratégie, un projet. « Tchertchessov se retrouve dans la peau de [l’entraîneur portugais] José Mourinho, écrivait-il dix jours avant le début de la compétition. Il absorbe toute la colère populaire, qui glisse comme une boule de feu sur son crâne chauve. » Une façon, en quelque sorte, de protéger son équipe en encaissant les coups à sa place. Plutôt qu’à Mourinho, on pourrait aussi penser à un autre entraîneur qui, il y a vingt ans, dirigeait lui aussi la sélection du pays organisateur et n’avait pas été épargné avant la compétition… avant de la remporter.

Là encore, prenons garde toutefois à ne pas trop personnifier l’inattendu succès russe. Peut-être saura-t-on un jour quel miracle a opéré au sein du vestiaire de la Sbornaïa, mais croire que le sélectionneur est le seul responsable de la métamorphose russe – d’une équipe moribonde à un collectif plein d’allant – serait réducteur, autant que d’imaginer Mohamed Salah portant à lui seul à l’Egypte vers les huitièmes de finale, vingt-huit ans après sa dernière participation à une Coupe du monde.

La Russie, elle, fait plus qu’entrevoir ces huitièmes de finale. Avant même son match face à l’Uruguay, le 25 juin à Samara, la qualification lui paraît acquise. Paré de son nouveau statut de sage, Tchertchessov a évité tout triomphalisme, mardi soir, et sacrifié au style tout en circonvolutions de la communication moderne. « Nous avions des objectifs, ils ont été remplis », a-t-il déclaré, constatant avec une sobriété extrême : « Il fallait aussi s’occuper de la question Salah, nous l’avons fait. »