L’avis du « Monde » – à voir

Quelques mois avant le début de l’histoire que conte Sans un bruit, les Abbott, papa Lee (John Krasinski), ­maman Evelyn (Emily Blunt) et leurs trois enfants, étaient en tête de toutes les listes alphabétiques. Depuis que la terre a été envahie par des créatures anthropophages, indestructibles, hypersensibles au bruit, les Abbott sont l’alpha et l’oméga de l’espèce humaine. Ils ne sont pas sûrs que d’autres qu’eux ont survécu, et si eux y sont arrivés c’est que Regan (Millicent Simmonds, que l’on avait découverte dans Le Musée des merveilles, de Todd Haynes), leur aînée, est malentendante. Toute la famille communique en langage des signes, ce qui leur donne un avantage certain sur leurs concitoyens plus bruyants.

De ce postulat, développé par deux scénaristes débutants, Scott Beck et Bryan Woods, John Krasinski, réalisateur et interprète, a tiré un film si américain qu’il fédère, sous la bannière du film d’horreur, le thriller, la chronique familiale et le western. Il le fait avec une remarquable économie de moyens, pour le meilleur (un rythme dramatique serré, dont témoigne la durée du film) et pour le moins bon : alors que les personnages enfantins s’épanouissent en personnalités complexes, les parents restent des silhouettes qui synthétisent des générations de fermiers américains, de la conquête de l’Ouest à la débâcle agricole des années 1980 – un homme énergique et bienveillant, une mère nourricière qui sait aussi se servir d’un fusil à pompe.

Efficace et concis, « Sans un bruit » est un nouvel exemple de ­l’épanouissement d’une nouvelle génération de longs-métrages horrifiques américains

Efficace et concis, Sans un bruit est un nouvel exemple de l’épanouissement d’une nouvelle génération de longs-métrages horrifiques américains. Mais le film de Krasinski, contrairement à Get Out ou Hérédité, n’a aucune autre ambition que de faire peur, et encore, en observant certaines règles. Le réalisateur et le producteur Michael Bay (maître d’œuvre de la série Transformers) ont veillé à ce que leur long-métrage soit coté « PG13 » lors de sa sortie aux Etats-Unis, ce qui permet aux adolescents de le voir sans être accompagnés de leurs parents (dont ils auront besoin s’ils veulent prendre un billet pour Hérédité ou Get Out).

Emily Blunt dans « Sans un bruit », de John Krasinski. / PARAMOUNT PICTURES

Les créatures qui peuplent les environs de la ferme Abbott sont ­affreuses mais on ne verra pas les sévices qu’elles infligent à leurs victimes. Cette contention de l’horreur n’est pas pour rien dans le charme du film qui recourt aussi – puisque les dialogues sont limités au strict nécessaire – à des procédés narratifs aujourd’hui oubliés : depuis quand n’avions-nous pas vu une situation géopolitique (la destruction de l’humanité) expliquée à la « une » d’un journal (vous savez, ces grandes feuilles de papier recouvertes de caractères d’imprimerie) plutôt que par un montage de journaux télévisés du monde entier ?

Menace omniprésente

Adroitement, John Krasinski joue du contraste entre cette désuétude calculée et l’horreur de la situation des Abbott. La séquence d’ouverture met en scène une expédition au supermarché qui vire à la tragédie. Plus tard, ce ­seront les gestes quotidiens des travaux des champs qui seront déréglés jusqu’à l’absurde par la menace omniprésente.

Pour y parvenir, le réalisateur ne recule pas devant l’incohérence. Alors que l’essentiel du film est situé un an après le drame évoqué plus haut, la ferme des Abbott se dresse au milieu d’acres de maïs aux rangs parfaitement rectilignes sans qu’il soit précisé si le travail a été effectué à la main ou avec des machines agricoles silencieuses. Pour ne rien dire de la séquence de l’accouchement, qui amusera sûrement tous les professionnels de l’obstétrique. A moins que l’on rende les armes devant les efforts d’Emily Blunt et de son mari de metteur en scène pour rendre muet un moment qui depuis la nuit des temps est le plus bruyant de l’existence. Ces réflexions, on se les fera à la sortie de la salle. Parce que, sur le moment, tout va si vite et si ­efficacement qu’on n’a d’autre préoccupation que le sort des Abbott, et celui qu’ils réserveront à ces horribles crustacés de l’espace.

SANS UN BRUIT : Bande-Annonce Finale VF [au cinéma le 20 juin 2018]
Durée : 01:56

Film américain de et avec John Krasinski. Avec Emily Blunt, Millicent Simmonds, Noah Jupe (1 h 30). Sur le Web : Paramountpictures.fr/film/sans-un-bruit et Aquietplacemovie.com