Opération de promotion pour Autolib, à Paris, le 29 novembre 2012. / ERIC PIERMONT / AFP

Alors que la résiliation du service de voitures partagées doit être votée jeudi 21 juin, Marie Bolloré, directrice du pôle mobilité électrique du groupe Bolloré, dévoile les coulisses des négociations menées sans succès avec la Mairie de Paris pour éviter l’arrêt d’Autolib’.

En posant un ultimatum financier « abracabrantesque », selon Anne Hidalgo – vous avez demandé le paiement 233 millions d’euros pour combler le déficit du service – n’avez-vous pas déclenché la mort d’Autolib’ ?

La Mairie de Paris et le Syndicat Autolib’ Vélib’ Métropole (SAVM) essayent de nous faire porter le chapeau de la résiliation. Or, les élus peuvent refuser de payer 233 millions sans voter l’arrêt d’Autolib’. En adressant un courrier le 25 mai pour réclamer cette somme considérable, nous savions que nous n’aurions aucune chance de l’obtenir. Notre objectif était d’obliger le Syndicat et la Mairie de Paris à se mettre autour de la table.

Plutôt qu’une décision brutale, nous avons défendu une transition en douceur. Nous avons proposé l’arrêt d’Autolib’ en 2019 [Le contrat initial court jusqu’en 2023]. Le 13 juin, nous avions rendez-vous à l’Hôtel de ville pour une discussion à laquelle participaient le directeur de cabinet d’Anne Hidalgo, la présidente du SAVM, Catherine Baratti-Elbaz. Ce jour-là, nous avons proposé que le SVAM nous verse 150 millions d’euros au titre du déficit réel constaté en 2017. Nous étions aussi prêts à prendre à notre charge le passif futur jusqu’à l’arrêt en 2019.

Nous pensions que cette proposition serait présentée aux élus du syndicat réunis en comité le 21 juin pour qu’ils arbitrent entre plusieurs solutions. Mais nous n’avons eu aucune nouvelle de la Mairie. Nous avons tenté de les joindre. On nous a dit qu’on nous rappellerait. C’est alors que nous découvrons dans Le Parisien du 15 juin que Mme Baratti-Elbaz comptait proposer la résiliation immédiate du service. Il nous est alors apparu évident que la Mairie de Paris avait choisi de ne pas dire aux élus que nous faisions des propositions.

Je sais que la commune de Paris est majoritaire au sein du comité qui vote jeudi. Ce que je déplore par-dessus tout c’est qu’en dehors des élus parisiens, aucun membre du comité syndical du SAVM ne soit au courant des négociations avec la Mairie. Tous les élus du syndicat doivent être éclairés sur les choix qui sont faits.

En avril, un tête-à-tête entre Anne Hidalgo et Vincent Bolloré avait permis de déboucher sur un accord financier. Pourquoi ce compromis a-t-il fait long feu ?

En avril, Mme Hidalgo avait donné son accord à M. Bolloré pour que le syndicat verse 88 millions d’euros échelonnés sur cinq ans et supporte 40 % du déficit éventuel constaté au terme de la délégation en 2023. Des mails prouvent que ce compromis avait été accepté par les deux parties. Quelques semaines plus tard, le cabinet de la Maire de Paris est revenu en arrière. Il nous a dit que finalement cela ne serait pas possible juridiquement. Chez Bolloré, quand le président dit quelque chose, on fait en sorte de le suivre. Peut-être que ce n’est pas la même chose à la Mairie de Paris… N’ayant plus de nouvelles de la Mairie, nous n’avions pas d’autre choix que d’envoyer notre courrier du 25 mai.

A combien estimez-vous le coût de la résiliation pour le SAVM ?

La seule chose que le syndicat et Paris gagnent en résiliant, c’est du temps. Et la possibilité de dire que c’est le tribunal qui prendra la décision du montant et non la Mairie de Paris. Mais la résiliation demandée par le syndicat n’a aucun sens ! Elle va coûter plus cher aux communes que ce que nous proposions.

La facture sera supérieure à 233 millions. C’est mathématique. Le syndicat devrait payer au bas mot 150 millions d’euros, soit le montant du déficit en 2017. A cette somme s’ajoute le manque à gagner du fait de la rupture du contrat : il pourrait être de 60 millions d’euros minimum. Il faut aussi additionner 16 millions au titre de l’amortissement que nous n’allons pas pouvoir réaliser sur les bornes et quelques dizaines de millions pour dédommager nos filiales. Au total, il en coûtera entre 250 et 300 millions d’euros aux communes.

Le syndicat affirme que le reclassement de vos salariés sera à votre charge…

Autolib’ emploie 267 salariés. Selon nous, le contrat prévoit que le syndicat est tenu de les prendre en charge dès lors que les bornes continuent d’être utilisées par d’autres opérateurs d’autopartage que nous. Il nous paraîtrait normal que le SAVM encourage le réemploi de nos mécaniciens et de nos personnels d’encadrement par les futurs opérateurs d’autopartage qui sont censés se déployer à Paris. Il y a par ailleurs une centaine de personnes affectées au service Autolib’ dans notre centre d’appels ainsi qu’environ 70 carrossiers, dépanneurs, ouvriers de sociétés de nettoyage qui risquent de se retrouver sans travail.

De nouvelles négociations sont-elles possibles ?

Je suis prête à proposer au syndicat que l’on se donne quinze jours de plus pour négocier. Quand sont concernés, des usagers, des salariés, des contribuables, chacun peut faire un effort. Nous restons toujours ouverts à la négociation même une fois la délibération votée jeudi par le syndicat. Si moi je perds espoir, alors qui va y croire ?