Le PDG d’Apple Tim Cook et le président américain Donald Trump lors d’une table ronde du conseil de la technologie américain à la Maison Blanche à Washington, le 19 juin 2017. / NICHOLAS KAMM / AFP

Tim Cook, le PDG d’Apple, a dit avoir « le cœur brisé ». Sundar Pichai, son homologue de Google, s’est senti « pris aux tripes ». La séparation des familles de sans-papiers arrêtées après avoir franchi illégalement la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, décidée par Donald Trump en vertu de sa nouvelle politique de « tolérance zéro » en matière d’immigration clandestine, a révolté nombre de dirigeants des entreprises technologiques.

Devant l’émotion qui s’est emparée de tout le pays – chefs d’entreprise, responsables religieux, élus démocrates et républicains, et même son épouse Melania Trump –, le président américain a fait marche arrière, mercredi 20 juin, et mis fin par décret à cette pratique dont ont été victimes en quelques semaines plus de 2 000 enfants et jeunes mineurs originaires d’Amérique centrale.

Avant ce revirement de la Maison Blanche, plusieurs grands patrons de la Silicon Valley avaient donné de la voix pour dénoncer une mesure jugée « contraire aux valeurs » sur lesquelles les Etats-Unis se sont construits. Elon Musk, PDG de Tesla et de SpaceX, s’était proposé pour « aider » les enfants – dont certains étaient âgés de moins d’un an – séparés de leurs parents – et enfermés dans des enclos grillagés. Les dirigeants d’eBay, Reddit, Uber, Facebook et Cisco Systems ont également manifesté leur indignation, rejoignant la plupart des grandes figures du monde des affaires, dont le président de la Chambre de commerce des Etats-Unis, Thomas Donohue, habituellement fervent partisan du président américain.

Une mesure « cruelle et brutale »

Dans un communiqué publié le 19 juin, M. Donohue avait réclamé la fin « immédiate » de la séparation des familles. « Ce n’est pas seulement que les Etats-Unis sont un pays d’immigrants. Depuis notre fondation, nous avons adopté un certain nombre de valeurs essentielles. L’une d’elles est que les enfants ne devraient pas être punis pour les crimes de leurs parents », s’est-il insurgé. Deux compagnies aériennes américaines, American Airlines et United Airlines, ont demandé au gouvernement fédéral de ne pas recourir à leurs services pour transporter des enfants immigrants séparés de leur famille.

A San Francisco en Californie, deux anciens cadres de Facebook, Charlotte et Dave Willner, ont lancé le 16 juin une collecte de fonds en faveur des enfants privés de leurs parents. En cinq jours, ils avaient réuni plus de 10 millions de dollars (8,6 millions d’euros). Mercredi au matin, avant que M. Trump ne signe le décret ordonnant de « maintenir l’unité des familles », 10 000 dollars leur parvenaient chaque minute. Les sommes collectées sont destinées à une association texane d’aide aux immigrants et doivent servir à financer la libération sous caution des réfugiés en détention.

Chez Microsoft, les protestations sont venues de la base. Dans une lettre ouverte publiée sur la messagerie interne du groupe, une centaine d’employés ont réclamé que la direction mette fin au contrat de 19,4 millions de dollars passé avec les services de l’immigration pour l’analyse de données et l’utilisation d’outils de reconnaissance faciale. « Nous qui construisons les technologies dont Microsoft tire profit, nous refusons d’être complices », déclarent-ils. Appel entendu. Quelques heures plus tard, le directeur général de l’entreprise, Satya Nadella, leur répondait dans un message rendu public mercredi que Microsoft ne travaillait sur « aucun projet visant à séparer les familles », une pratique qu’il a qualifiée de « cruelle et brutale ».

Divorce entre la base nationaliste et les patrons républicains

Ce n’est pas la première fois que le monde des affaires s’oppose à la politique de Donald Trump, illustrant le divorce entre la base nationaliste et les patrons républicains. Du changement climatique au contrôle des armes à feu, des restrictions sur les visas à la fin de la neutralité du Net ou aux mesures protectionnistes, les motifs de contentieux ont été nombreux. Plusieurs PDG qui avaient accepté de siéger au conseil économique de M. Trump ont démissionné, comme Elon Musk, en juin 2017, en raison du retrait américain de l’accord de Paris sur le climat. Ou Kenneth Frazier, du géant pharmaceutique Merck, en août 2017, après les violences de Charlottesville (Virginie), quand M. Trump avait renvoyé dos à dos militants d’extrême droite et manifestants antiracistes. Le président avait préféré démanteler cet organisme purement consultatif.

Mais les patrons sont quelque peu embarrassés. Le climat économique – baisse du dollar, profits en hausse – est tout à leur avantage. La réforme fiscale, qui a ramené l’impôt sur les sociétés de 35 % à 21 %, les a réjouis, de même que la vague de déréglementation dans la banque ou l’énergie. Les entreprises technologiques ont obtenu de pouvoir rapatrier leurs bénéfices réalisés à l’étranger, au prix d’une taxe de 15,5 % seulement. Et si la plupart d’entre eux sont opposés aux barrières douanières, les patrons espèrent que M. Trump obtiendra des concessions de la Chine. Comme l’hôte de la Maison Blanche, ils n’en sont pas à une contradiction près.