L’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva, le 16 juillet 2015. / NELSON ALMEIDA / AFP

Les uns voient dans l’effronterie la démonstration de l’ego surdimensionné d’un ancien chef d’Etat cherchant désespérément à ne pas finir dans les oubliettes de l’actualité. Les autres ont la preuve que leur héros est un homme du peuple. Un de ces Brésiliens qui aiment le futebol et la cachaça. Comme ses compatriotes, de fait, l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva, dit Lula, 72 ans, peste contre ce football devenu « une machine à cash ». S’agace de l’indolence de la Seleçao, l’équipe officielle du Brésil. S’emporte quand Neymar, attaquant à l’inventivité capillaire débridée et à l’individualisme assumé, se jette à terre comme une petite chose. Et implore le retour du jogo bonito (le « beau jeu »).

Lors des matchs du Brésil, favori d’une Coupe du monde qui peine à passionner, Lula râle donc, comme tous les Brésiliens devant son poste de télévision. Mais contrairement à ses compatriotes, le septuagénaire, « prisonnier politique » pour ses amis, « politicien prisonnier » pour ses ennemis, assiste aux jeux dans sa cellule de quinze mètres carrés, où il purge une peine de douze ans de prison pour corruption, tout en jouant les commentateurs sportifs à la télévision. Une prouesse simple comme un texto : lors des matchs, la figure centrale du Parti des travailleurs (PT, gauche), qui prétend participer à l’élection présidentielle d’octobre, envoie ses états d’âme footballistiques par Whatsapp au journaliste José Trajano, dit « Zé Trajano », qui les retransmet par écrit avec une lecture en voix off à la TVT, la chaîne de télévision du syndicat des métallos.

Ça n’arrive qu’au Brésil

L’expression « so no Brasil » (« ça n’arrive qu’au Brésil ») trouve ici tout son sens. Mais à en croire les experts interrogés par les médias brésiliens, il n’y a dans le procédé aucune illégalité. « Communiquer avec l’extérieur par courrier n’est pas interdit », explique au site Veja l’avocat Francisco Monteiro Rocha Júnior. « Tout prisonnier a le droit de travailler, notamment pour obtenir une remise de peine », abonde le criminologue João Paulo Martinelli.

Zé Trajano, lui, se frotte les mains. C’est lui qui a eu cette idée pour le moins saugrenue. « J’ai osé !», se félicite-t-il. La participation de Lula à son émission, jusqu’ici confidentielle, a fait doubler les audiences et a eu des répercussions mondiales. Der Spiegel, en Allemagne, El Pais, en Espagne, The Sun, au Royaume-Uni, ont, parmi d’autres, noté la conversion —temporaire ? — de l’homme politique. De plus, souligne le journaliste, « Lula fait des commentaires pertinents. Je n’aurais pas pu demander ça à FHC ». FHC étant le sigle de Fernando Henrique Cardoso, président de 1995 à 2003, surnommé « pé frio » (« pied froid ») et suspecté de porter la poisse à la Seleçao.

La passion de Lula pour le foot est sincère. Né dans la misère, l’ex-syndicaliste est un supporteur enflammé des Corinthians, l’une des équipes de Sao Paulo. Il fut l’ami du joueur mythique Socrates, et assiste toujours à l’intégralité des matchs de la « Copa », qu’il s’agisse de l’Arabie saoudite ou du Portugal. Son amour pour le jeu l’empêche même de haïr le prodige Neymar, qui a pourtant appelé à voter Aecio Neves, candidat de l’opposition au PT lors de la présidentielle de 2014.

Après avoir maudit la Seleçao lors du match (1-1) contre la Suisse, dimanche 17 juin, Lula reprendra du service vendredi 22, lors de la rencontre contre le Costa Rica, priant pour une victoire de son pays. A quatre jours de l’examen d’un recours visant à le faire sortir de prison, l’ancien chef d’Etat priera sans doute aussi un peu pour lui et pour une victoire de la gauche à la présidentielle.