Le taux de chômage a triplé en huit ans de crise. / COSTAS BALTAS / REUTERS

Après de longues discussions, les ministres des finances de la zone euro (l’Eurogroupe), réunis jeudi 21 juin à Luxembourg, ont réussi à s’accorder sur les conditions de sortie de la Grèce de son troisième plan, prévue pour le 20 août.

Le pays aura reçu 300 milliards d’euros de prêts en échange d’un plan d’austérité et de réformes drastiques. Mais pour Michel Vakaloulis, enseignant chercheur en sociologie politique à l’université de Paris-VIII, cette sortie « est surtout symbolique, la Grèce va rester dans un régime d’exception ».

Huit ans après le début de la crise, à quel point la société grecque a-t-elle changé ?

La société grecque a subi une série de bouleversements à marche forcée sans précédent : réforme des retraites, des conventions collectives, de la sécurité sociale, du système des impôts, du salaire minimum et des aides sociales, entre autres… Cela donne une chute considérable et durable du niveau de vie des Grecs, et un triplement du taux de chômage, avec notamment le plus important taux chez les jeunes en Europe.

Le pays a été profondément traumatisé, et la fin du troisième plan d’aide ne va pas changer cet état de fait. C’est la plus longue crise pour un pays occidental depuis la seconde guerre mondiale.

Ces derniers mois, l’économie semble retrouver légèrement des couleurs, est-ce bon signe pour la suite ?

On peut dire que la situation s’est stabilisée, à l’image des comptes de l’Etat. Mais la croissance est un peu moins élevée que prévu, et surtout la dette reste immense. En revanche, c’est vrai que le chômage a baissé de quelques points ces derniers mois, mais c’est surtout dû à une hausse des embauches due à l’embellie saisonnière. Aujourd’hui, le tourisme est devenu l’industrie lourde de la Grèce, qui connaît une énorme explosion de la fréquentation, avec 36 millions de personnes attendues cette année.

Mais il ne faut pas confondre baisse du chômage et baisse de la précarité. Les emplois saisonniers sont souvent des temps partiels, et des contrats courts. Enormément de salariés grecs ne sont pas encore payés, ou avec des retards colossaux. Certains, dans les supermarchés par exemple, sont payés en partie avec des bons d’achat sur leur magasin.

Il y a deux jours, le premier ministre grec, Alexis Tsipras, a dit : « Nous sommes très proches du moment où nous récolterons les fruits d’années de sacrifices. » Les Grecs peuvent-ils espérer voir leur situation s’améliorer ?

Les Grecs sont loin de voir le bout du tunnel de l’austérité. Pour retrouver leur niveau de vie d’avant la crise, il faudra des décennies, voire plusieurs générations. D’autres réformes sont déjà annoncées : les seuils imposables vont notamment être encore abaissés, et une nouvelle version des régimes de retraites devrait aboutir d’ici à 2019, alors que beaucoup de retraités ont déjà vu leurs revenus divisés par deux.

De même, l’Etat continue de se délester pour une bouchée de pain de ses entreprises publiques. Après les quinze meilleurs aéroports du pays, la société ferroviaire nationale doit être vendue, tout comme la compagnie d’électricité du pays ou encore le port de Thessalonique.

La sortie du plan d’aide est surtout symbolique : la Grèce va rester dans un régime d’exception, avec une surveillance trimestrielle de la part de l’Union européenne. C’est comme dans un avion en pilote automatique, une fois que le programme de vol est appliqué, l’équipage n’a que très peu de marge de manœuvre.

Quel est l’état d’esprit de la population ?

Les Grecs vivent dans un climat anxiogène et morose. Les derniers sondages montrent un pessimisme envers l’avenir, aucune amélioration à court et moyen terme.

Une situation d’autant plus ressentie que le pays a souffert d’une importante fuite de sa jeunesse et de ses cerveaux. Près d’un demi-million de personnes ont ainsi quitté le pays. Parmi eux, 69 % ont moins de quarante ans, et 53 % sont titulaires d’un diplôme de troisième cycle, selon une enquête d’ICAP parmi les Grecs expatriés. Les principales raisons de ces départs sont à 44 % justifiés par le manque de méritocratie et la corruption.

En Grèce, le piston reste bien trop souvent la règle. D’autant que la structure socioprofessionnelle est très différente de la France. Quand on trouve 92 % de salariés dans l’Hexagone, il n’y en a que 70 % en Grèce. Il y a une culture de l’indépendance : des petits commerces ou petites entreprises. Or, aujourd’hui, avec la multiplication des sources de taxation, la seule possibilité de survivre, c’est de travailler au noir, y compris chez les avocats, médecins, etc. Cela n’incite pas à embaucher de manière transparente.

Politiquement, qu’est-ce que donne cette frustration ?

Alexis Tsipras va essayer de construire son récit, disant : « Je vais vous sortir de la situation où je vous ai en partie menés, on va recommencer à respirer. » Mais les derniers sondages montrent la perte de terrain de son parti, Syriza. Elu avec 36 % des voix en septembre 2015, il stagne autour de 20 % des intentions de vote. Surtout, il risque de perdre sa majorité parlementaire sur le dossier macédonien : cela pourrait résulter sur des législatives anticipées.

Reste à savoir si les Grecs s’intéresseront aux élections à venir, notamment les européennes. En 2015, il y avait eu 48 % d’abstention. Leur déception de la classe politique est telle que beaucoup préfèrent « voter avec leurs pieds ». Quand on leur dit que les dettes sont en vigueur jusqu’à 2060, beaucoup répondent « à quoi bon voter, nos dettes nous survivront de toute façon ».