Patrick Bernasconi, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui va se transformer en Chambre de la société civile. / LUDOVIC MARIN / AFP

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) va se transformer en Chambre de la société civile, selon le vœu émis par Emmanuel Macron. Son président actuel, Patrick Bernasconi, explique les nouveaux rôles que l’institution va être appelée à jouer.

Quel jugement portez-vous sur la réforme ?

Ce qui nous a guidé pour accompagner cette réforme proposée par le président de la République, c’est de renforcer l’institutionnalisation de l’assemblée de la société civile organisée, et de la rendre encore plus en proximité avec les citoyens engagés. Plus que jamais, la Chambre de la société civile doit être un trait d’union beaucoup plus fort entre les corps intermédiaires et la République. Au-delà du texte constitutionnel, il y aura bien entendu un travail de fond à réaliser dans le cadre de la loi organique puis dans les décrets afin de faire en sorte que nous puissions mieux et plus servir aux assemblées législatives. Cette transformation ouvre le champ des possibles. Elle nous permettra d’intervenir davantage dans l’éclairage préalable à la fabrique de la loi dans une relation de coopération avec les deux autres assemblées.

Emmanuel Macron a la réputation de ne pas faire grand cas des corps intermédiaires. Cette réforme va-t-elle conforter l’image qui vous colle souvent à la peau d’une société civile enfermée dans un palais de la Belle au bois dormant ou va-t-elle marquer son réveil ?

Nous sommes à l’aube d’un énorme changement et même d’une véritable révolution. Demain cette assemblée de la société civile sera organisée d’une façon assez pure car elle ne sera composée que de conseillers désignés par les organisations, syndicats, associations dont ils seront membres ; il n’y aura plus, dans cette enceinte, des conseillers qualifiés directement par les pouvoirs publics et que l’on a longtemps dénoncés, souvent à tort d’ailleurs, comme étant le produit du fait du prince.

Pour autant, cette chambre devra se nourrir de cercles extérieurs – experts, scientifiques, organisations de terrain – qui enrichiront nos rapports sur la vision des citoyens mais aussi sur les conséquences sur le long terme des décisions à prendre, d’où la relation au monde scientifique.

L’autre évolution majeure devrait être que nous serons consultés de façon systématique avant chaque projet de loi économique, social et environnemental, en dehors des sujets de négociation qui continueront à concerner essentiellement les partenaires sociaux. Il y aura donc une montée en puissance, et une visibilité beaucoup plus forte, de la Chambre de la société civile. Les parlementaires auront une meilleure connaissance de nos avis qui sur les projets de loi seront rendus au même moment que ceux du Conseil d’État.

Comment allez-vous répondre à votre autre mission, celle d’organiser le débat public, notamment à travers des pétitions citoyennes?

Clarifions le débat. Il est proposé que la chambre ait trois responsabilités. La première, il l’a déjà, c’est d’être saisie par 500 000 signataires d’une pétition. Nous demandons à ce que cette possibilité soit désormais numérique et que les conclusions apportées aient une ouverture institutionnelle auprès de l’Assemblée ou du Sénat.

La seconde, c’est que la chambre aura la responsabilité, sur saisine gouvernementale, d’organiser des débats publics sur de grands projets de réforme, en amont de celles-ci. La troisième, mais d’une façon non exclusive, c’est la possibilité qu’elle aura de recevoir sur une plate-forme des pétitions numériques qui n’atteignent pas ce chiffre constitutionnel de 500 000 signataires mais qui n’en méritent pas moins d’être écoutées. Nous avons sur ce sujet un véritable savoir-faire. Nous venons ainsi, à la suite d’une auto-saisine sur la fin de vie qui faisait l’objet de plusieurs pétitions citoyennes, d’adopter un avis sur un sujet aussi difficile, tout en faisant apparaître des dissensus, des différences, dans nos préconisations.

Le projet diminue vos moyens, en ramenant de 233 à 155 le nombre de membres, et accroît vos compétences, en augmentant fortement les cas de consultation obligatoire. Comment comptez-vous faire face à ce « en même temps » ?

Cette réduction du nombre de membres est un sujet de préoccupation. Car la grande valeur de ce conseil est sa colonne vertébrale qui lui donne sa cohérence ; elle n’est pas et ne doit pas être une addition d’individualités. Cette cohérence, c’est la représentation et le nombre d’organisations et d’associations, la qualité de leurs membres qui pour la plupart d’entre eux, en dehors de leurs responsabilités associatives ou autres, et de leur mandat de conseiller, exercent aussi une profession. Ces deux caractéristiques sont à préserver le plus possible car elles donnent leur valeur à nos travaux, qui ne doivent pas devenir des produits technocratiques. On ne pourra donc pas fonctionner avec le même budget qu’aujourd’hui.

Des craintes se font jour parmi les organisations syndicales. Risquent-elles de faire les frais de la réforme ?

La réforme doit permettre à une assemblée qui rassemble les corps intermédiaires de pouvoir mieux fonctionner et d’être davantage entendue. Il faudra clarifier son rôle et celui de ses représentants. Les organisations syndicales et professionnelles ont un rôle important à jouer sur des sujets qui leur sont propres. Ce serait une erreur de ne pas reconnaître leur place. Pour ma part, j’y veillerai toujours.

Au final, la démocratie sociale, plutôt mal en point, va-t-elle y gagner ?

Je l’espère. Il faut bâtir un meilleur équilibre entre la société civile organisée et les pouvoirs publics. Mon rêve est que nous allions vers une démocratie plus participative, plus moderne, plus mature et plus efficace.