Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et la chancelière allemande, Angela Merkel, à Bruxelles, le 24 juin. / YVES HERMAN / AFP

Le mini-sommet sur la migration réclamé par la chancelière allemande, Angela Merkel, et organisé à la va-vite par la Commission européenne, dimanche 24 juin, à Bruxelles, avait un but évident : dépassionner un débat qui tourne désormais à l’hystérie. Les populistes et la droite dure européenne – le ministre de l’intérieur Matteo Salvini depuis Rome, Horst Seehofer, son homologue bavarois à Berlin – en ont fait le thème d’une crise politique majeure alors même que les arrivées de migrants économiques ont chuté sous leur niveau de 2014.

A l’issue d’une discussion de trois heures – c’est bref au regard des critères bruxellois – Angela Merkel s’est félicitée de la « bonne volonté » et des « positions communes » affichées dimanche soir par ses quinze partenaires européens, chefs d’Etat et de gouvernement. Les membres du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie et République tchèque) et les trois Etats baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) n’avaient, eux, pas répondu à l’appel de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission.

« Eliminer des solutions »

A la sortie, le qualificatif le plus entendu pour caractériser le débat était « positif ». Le président français, Emmanuel Macron, se félicitait que la réunion ne se soit pas « focalisée sur un seul aspect » de la migration et ait permis « d’éliminer des solutions non conformes à nos valeurs ». A savoir les propositions avancées début juin par le Danemark et l’Autriche, qui envisageaient la création de « centres » destinés à cloîtrer les déboutés du droit d’asile, voire les naufragés sauvés en Méditerranée, dans des pays proches de l’Union européenne (UE) – ceux des Balkans occidentaux notamment.

M. Juncker aurait aussi fermement repoussé cette idée, dimanche, même si le premier ministre danois, Lars Fokke Rasmussen, a voulu la détailler tandis que le chancelier autrichien, Sebastian Kurz, insistait pour que l’agence Frontex puisse débarquer des personnes en dehors de l’UE. « Pas mal de gens soutiennent ce que nous proposons depuis 2015, à savoir que les personnes secourues en mer ne doivent pas être amenées en Europe mais dans des pays en dehors de l’UE », a affirmé M. Kurz à des journalistes autrichiens.

Jean-Claude Juncker et le chancelier autrichien, Sebastian Kurz, à Bruxelles, le 24 juin. / GEERT VANDEN WIJNGAERT / AP

Les participants n’ont, il est vrai, pas écarté toute idée de « centres » pour migrants. La France a défendu sa proposition commune avec l’Espagne de « centres fermés » pour le débarquement dans des ports réputés « sûrs », dans ou hors de l’UE. La prise en charge des migrants (traitement des demandes d’asile pour ceux qui peuvent y prétendre, retour vers les pays d’origine pour les autres) y serait gérée d’emblée au niveau européen (par du personnel venu d’autres pays de l’UE, et pas seulement par des Italiens ou des Maltais).

Réforme des règles européennes de l’asile

Toujours dans la logique de la seule idée vraiment consensuelle dans l’UE – limiter au maximum les arrivées de migrants sur les côtes européennes –, Paris et Berlin ont insisté sur la nécessité de multiplier les « hot spots » – centres d’enregistrement – en Afrique, dans les pays d’origine ou de transit des migrants, sur le modèle de ce qui se fait déjà depuis plusieurs années au Niger. Dans ce pays, les candidats à un voyage vers l’Europe en sont soit dissuadés, soit aidés dans leur démarche d’asile s’ils introduisent une demande.

Enfin, les participants au mini-sommet se sont accordés pour poursuivre les discussions sur la réforme des règles européennes de l’asile – afin de les unifier. Le but fixé est de décrocher un consensus à la fin juillet, sur cinq des sept textes en discussion depuis près de trois ans (renforcement et transformation de Frontex, qui deviendrait une vraie police des frontières, création d’une Agence européenne des migrations, harmonisation des procédures d’asile).

Sachant qu’aucun consensus à Vingt-Huit ne semble désormais possible sur les deux lois restantes, en raison du veto, notamment, du gouvernement hongrois. Il s’agit du texte traitant des « mouvements secondaires » de demandeurs d’asile dans l’UE – leur déplacement dans un autre pays que celui qui traite leur dossier – et d’un autre organisant la répartition des réfugiés partout dans l’UE en cas d’afflux majeur.

Des questions demeurent

Le premier ministre italien, Giuseppe Conte, était pour sa part arrivé à la réunion avec un plan en dix priorités qu’il a présenté comme « un nouveau paradigme ». « Un plan italien, quel plan ? », ironisait son homologue grec Alexis Tsipras, pour marquer que ce projet reprenait en fait des idées anciennes : le renforcement de la coopération avec les pays d’origine ou le financement du Fonds pour l’Afrique (il lui manque actuellement 1,2 milliard d’euros). M. Conte a cependant reçu l’assurance que ses pairs examineraient ses propositions avec bienveillance.

Le premier ministre italien, Giuseppe Conte, et Emmanuel Macron lors du sommet informel à Bruxelles, le 24 juin. / GEERT VANDEN WIJNGAERT / AFP

L’absence des pays de l’est de l’UE a évidemment rendu les échanges plus faciles et relancé, chez certains, l’idée de sanctions financières pour ceux qui refuseraient l’impératif de solidarité européenne. Le premier ministre hongrois, Viktor Orban, a réagi au quart de tour, refusant que l’octroi des fonds structurels soit lié à l’accueil de migrants.

Des questions demeurent : ce rendez-vous improvisé aura-t-il calmé les ministres italien et allemand de l’intérieur, qui ont déclenché la crise actuelle ? Aura-t-il suffi à « sauver » la chancelière Merkel, à laquelle M. Seehofer a donné jusqu’à fin juin pour trouver « une solution européenne » au problème, faute de quoi il refoulerait à la frontière sud de l’Allemagne tous les migrants ayant demandé l’asile dans d’autres pays de l’UE ?

Le vrai test sera bien en réalité celui du Conseil européen des 28 et 29 juin, au cours duquel les Vingt-Huit sont censés s’entendre – avec Viktor Orban, ainsi que son homologue polonais Mateusz Morawiecki – sur un texte commun… « Attendez-vous à une très longue nuit », prédisait déjà un diplomate.

Quelle qu’en soit l’issue, la ligne de crête que défendait le président Macron dimanche, la « lutte contre la migration économique » sans « revenir sur nos valeurs », paraît toujours très incertaine, tant le discours populiste gagne aujourd’hui les discussions.

Pour preuve, ce document de travail lu par Le Monde, et que la future présidence autrichienne de l’UE entend soumettre aux experts des Vingt-Huit, les 2 et 3 juillet, à Vienne. On y constate un glissement sémantique alarmant et une criminalisation des personnes qui cherchent à rejoindre l’Europe. Elles sont décrites comme des « smuggled migrants » (littéralement, des migrants liés au trafic des passeurs) et, pour « un grand nombre » comme « des jeunes hommes à peine éduqués ». Sensibles, en outre, « aux idéologies hostiles à la liberté ou plus enclins à devenir des criminels ».