Mohamed Salah après  le second but adverse, lundi 25 juin, lors de la défaite  de l’Egypte face à l’Arabie saoudite (1-2). / Andrew Medichini / AP

La farce est terminée. Attendu comme l’un des grandes attractions de la Coupe du monde, l’attaquant de l’Egypte Mohamed Salah, transformé en bête de foire au service de la propagande du dictateur tchétchène Ramzan Kadyrov, a quitté la compétition lundi 25 juin sur une troisième défaite.

Au lieu d’être extraordinaires, ses aventures russes se sont transformées en tragicomédie, à peine adoucie par un splendide but lors de la défaite égyptienne face à l’Arabie saoudite (1-2). Son deuxième après un penalty transformé lors du revers face à la Russie (1-3).

A quoi pensait l’attaquant de Liverpool, visage enfoui dans son maillot, juste après le deuxième but saoudien, concédé dans les arrêts de jeu ? Déjà, son absence de célébration après sa frappe victorieuse en disait long sur le climat entourant la nouvelle icône sportive du monde arabe.

Voulait-il réellement jouer ce match ? A une heure du coup d’envoi, le joueur ne figurait pas sur une première composition d’équipe tweetée par sa propre fédération. Erreur de manipulation ou retournement de situation, Salah était finalement bien présent sur la feuille de match diffusée quelques minutes plus tard. Une absence aurait constitué l’application immédiate de menaces émises discrètement par son clan dans les vingt-quatre dernières heures.

Dimanche, plusieurs médias, dont CNN ou l’agence Associated Press, citant des sources anonymes, assuraient que Salah avait l’intention de quitter la sélection après le Mondial. Le conditionnel est de rigueur, mais le fait que des proches du joueur aient évoqué, même anonymement, une telle éventualité, est significatif. Selon ces sources, Salah reprocherait à sa fédération le choix, étrange, de situer à Grozny son camp de base et de ne pas avoir su l’y protéger.

Les démentis peu enthousiastes d’un porte-parole de la Fédération égyptienne n’ont pas suffi pas à dissiper le malaise. Il s’est contenté de renvoyer au compte Twitter de la star, qui assurait, le 20 juin, de l’absence du moindre désaccord dans le camp égyptien.

La Fédération égyptienne ne s’étant jamais réellement étendue sur ce choix, ce sont les autorités tchétchènes qui avaient expliqué que les Pharaons souhaitaient un camp de base « calme », dans une ville où règne une « sobriété » toute islamique.

C’était sans compter sur un hôte très envahissant, le très autoritaire président de la petite république russe, Ramzan Kadyrov, connu pour sa politique ultrarépressive en matière de droits de l’homme. Celui-ci, avide de reconnaissance internationale, particulièrement dans le monde arabe, et toujours en quête d’invités de marque avec qui s’afficher, a utilisé au maximum la présence des Egyptiens. Avec une prédilection très nette pour sa star.

On a vu l’éternel sourire de Salah disparaître au fil des événements organisés en son honneur. Il y eut d’abord le 10 juin cette sortie dans le stade de Grozny – l’Akhmat-Arena, nommée en l’honneur du père du dictateur –, pour laquelle il avait été sorti de son lit et exhibé devant des milliers de spectateurs, main dans la main avec Kadyrov. Il y eut ensuite l’énorme gâteau d’anniversaire de 100 kilos, orné d’un soulier d’or, offert au joueur… juste après la défaite contre l’Uruguay (1-0).

Il y eut, enfin et surtout, l’étrange banquet offert en l’honneur de l’équipe égyptienne déjà éliminée, le 22 juin, au cours duquel seul l’attaquant de Liverpool, exposé comme un animal de cirque, était admis à la table d’honneur au côté de Kadyrov, le reste de l’équipe étant relégué dans un coin. Le président tchétchène y avait fait Mohamed Salah « citoyen d’honneur » de la Tchétchénie, une distinction que le joueur a semblé recevoir en se pinçant le nez.

On ignore les positionnements politiques du joueur, et c’est là l’une des raisons pour lesquelles son statut d’icône est reconnu si largement dans le monde arabe. Mais Salah ou son entourage semble avoir été sensible aux critiques venues du monde entier sur ses mésaventures tchétchènes. La presse égyptienne a fait état de discussions sur le sujet entre le joueur et sa fédération.

Ce désaccord s’ajoute à un autre épisode, plus trivial, survenu en avril, lorsque Salah avait contesté l’utilisation de son image sur l’avion de la sélection, à l’initiative du sponsor de la fédération – un concurrent de son partenaire personnel. Il avait obtenu gain de cause et son portrait géant avait été effacé.

Dans la moiteur de Volgograd, lundi soir, les supporteurs égyptiens refusaient de croire à un départ du joueur, mais, surtout, semblaient lui donner raison contre ses dirigeants. « Ils n’ont pas été professionnels, tranchait Mohamed, venu d’Alexandrie. Salah pense, à raison, qu’il n’a pas été protégé. De sérieuses discussions vont avoir lieu pour que ça ne se reproduise plus. » Ahmed, un autre Alexandrin, voulait croire toutefois qu’il ne « mettrait pas ses menaces à exécution : l’entourage de Salah fait courir ces bruits pour mettre la pression à la fédération en prenant les médias à témoin ».

Quant au joueur, que dit-il ? Son titre d’homme du match, décerné étrangement lundi soir, promettait de le voir enfin s’exprimer et mettre sa situation au clair. Las, le buteur a contourné ce dernier cadeau empoisonné de la FIFA en brillant par son absence lors de la conférence de presse normalement assurée par le meilleur joueur de la rencontre.

« Je ne sais pas pourquoi il n’est pas là. Je ne peux pas répondre », a commenté le sélectionneur Hector Cuper, avant de jouer les pompiers de service : « Je ne pense pas que les rumeurs soient vraies. Il apprécie vraiment d’avoir l’opportunité de jouer pour la sélection nationale. » Au micro de la chaîne de la FIFA, impossible, elle, à dribbler, Salah s’est contenté de demander pardon à ses supporteurs : « Je sais que c’est aussi difficile pour vous que pour nous. Je vous présente de tout mon cœur mes excuses. »