Des données satellites permettent de mesurer l’état de santé des cultures et leur rendement. Vue satellite de la campagne française. / Planet Labs 2018

C’est une révolution qui se prépare au-dessus de nos têtes. En décembre, à l’occasion du One Planet Summit, Jean-Yves Le Gall, le président du Centre national d’études spatiales (CNES), annonçait la création d’un observatoire spatial du climat, regroupant une vingtaine d’agences. Objectif : mutualiser et harmoniser les données climatiques obtenues depuis l’espace.

Une preuve de plus que la bataille pour le climat se joue aussi dans le ciel et dans l’espace. Le CNES multiplie les projets dans cette direction. Le centre vient par exemple de lancer le nanosatellite Venus, qui doit suivre l’évolution de la végétation sur plus de cent sites, avec une résolution des images à 5 mètres. De nombreuses applications sont envisagées : construire des modèles de gestion de l’eau dans les zones sèches, prévenir les incendies de forêts… En octobre 2018, le CNES mettra sur orbite le satellite CFOSat, qui permettra d’étudier le vent et les vagues à la surface de l’océan. « C’est un indicateur qui traduit l’état d’un écosystème », explique Jean-Yves Le Gall.

Mesurer les émissions anthropiques de gaz à effet de serre, c’est l’un des plus gros enjeux de la donnée satellitaire dans les cinq prochaines années. « Aujourd’hui, les émissions de CO2 sont quantifiées par les industriels eux-mêmes, selon des réglementations nationales, explique Pascal Prunet, fondateur de Spascia, une jeune entreprise installée près de Toulouse. C’est pour l’instant la donnée la plus précise dont nous disposons. » Ce travail de collecte se révèle imparfait, avec des disparités selon les régions du monde, et l’impossibilité d’avoir une cartographie précise de la distribution des émissions de CO2 liées à l’activité de l’homme.

« L’avantage des images satellitaires, c’est que nous aurons une information indépendante, globale et répétitive, poursuit Pascal Prunet. Pour l’heure, personne n’a encore démontré que l’on est capable de mesurer les émissions de CO2 à l’échelle d’un pays ou d’une ville. Demain, en combinant les données relevées sur terre et celles obtenues depuis l’espace, on pourra produire une carte mondiale des émissions de CO2 tous les mois. » Une donnée hautement stratégique, qui pourrait à terme permettre aux Etats de définir des politiques réellement contraignantes pour limiter les émissions de CO2. Le Japon et les Etats-Unis sont déjà engagés dans la course avec des satellites spécifiques, et le CNES prévoit de mettre sur orbite en 2020 le satellite Microcarb, pour lequel Spascia développe des algorithmes d’analyse des données.

Au Pérou, les activités minières illégales détruisent des hectares de forêt. Photo : au sud de la rivière Malinowski en janvier 2016. Un an plus tard, en janvier 2017, la ruée vers l’or s’est accentuée. / Planet Labs 2018

A partir de ces images, les scientifiques espèrent aussi une meilleure compréhension du cycle du carbone, des phénomènes d’émissions et d’absorptions par les puits de carbone – les sols, la végétation et les océans. En 2021, le CNES prévoit également de mettre sur orbite le satellite franco-allemand Merlin, pour mesurer la concentration en méthane atmosphérique.

Se préparer aux « guerres de l’eau »

L’autre rupture technologique des prochaines années se situe dans l’observation des eaux de surface : c’est la mission du satellite franco-américain SWOT (Surface Water and Ocean Topography), qui sera lancé en avril 2021. « Ce satellite va révolutionner l’hydrologie, et produira des images d’une précision chirurgicale, assure Fabien Lefèvre, ingénieur chez CLS (Collecte Localisation Satellites), une filiale du CNES, de l’Ifremer et d’Ardian. Sur un 1 km de rivière, nous serons capables de détecter 1 cm de pente, ce que l’on est incapable d’observer à l’œil nu. A partir de ces données, nos algorithmes pourront en déduire le débit par exemple. »

Ces informations sont fondamentales « pour faire face aux guerres de l’eau et gérer les stocks disponibles », poursuit cet expert. Un domaine que CLS connaît déjà bien : depuis dix ans, cette entreprise est capable, grâce à des données spatiales et des balises embarquées sur des bateaux de pêche, de fournir un état des lieux de la pêche illégale, et de suivre les stocks de poissons sur une zone donnée. « Nous déduisons ces informations à partir de la température de l’eau, du niveau de salinité et de ses caractéristiques de surface », précise Fabien Lefèvre.

Parallèlement, de nouveaux acteurs font leur entrée sur le marché de la donnée spatiale. « Il y a tout un écosystème de start-up qui est en train de se développer autour du climat et de l’intelligence artificielle, qui développent des applications concrètes à partir des besoins des utilisateurs », poursuit Jean-Yves Le Gall. En tête de file, la start-up américaine Planet – qui compte désormais 500 salariés –, installée dans la Silicon Valley et à Berlin, détient sa propre constellation de nanosatellites (200 en tout, de la taille d’une boîte à chaussures). Ses satellites volent à 500 mètres d’altitude et peuvent « fournir des images du globe à une précision de 3 à 4 mètres tous les jours », affirme Massimiliano Vitale, directeur des opérations de Planet. Leurs missions : suivre, par exemple, l’évolution de phénomènes de déforestation ou « soutenir les efforts des équipes de sauvetage en cas de catastrophe naturelle ».

L’avènement de l’agriculture augmentée

L’un des secteurs les plus prometteurs pour ces nouveaux acteurs est l’agriculture de précision. « Les images satellitaires permettent de suivre la santé des cultures et grâce au “machine learning”, de dresser des recommandations de traitement pour chaque zone. Ces données peuvent être directement téléchargées par le tracteur, qui pourra par exemple adapter la qualité de pesticides », poursuit le directeur des opérations de Planet, qui compte parmi ses clients la multinationale Bayer.

Près de Bordeaux, la start-up Telespazio a lancé en 2013 l’Earthlab, qui exploite des données des satellites, des avions et des drones pour des usages agricoles ou forestiers. Depuis 2016, l’entreprise développe par exemple pour Bonduelle une solution pour identifier la présence d’une mauvaise herbe dans ses champs de maïs et de haricots. « A J – 8 de la récolte, nos algorithmes sont capables d’identifier, à partir des images acquises par drone, les zones où cette plante indésirable est présente », détaille Lilian Valette, de Telespazio. L’Earthlab va aussi aider des vignerons à optimiser leur utilisation de pesticides et d’engrais. Les premiers tests doivent être réalisés cet été.

Le satellite franco-américain SWOT (Surface Water and Ocean Topography) sera lancé en avril 2021. Il est censé produire « des images d’une précision chirurgicale. Sur un 1 km de rivière, nous serons capable de détecter 1 cm de pente, ce que l’on est incapable d’observer à l’œil nu. A partir de ces données, nos algorithmes pourront en déduire le débit par exemple ». / CNES

Jean-Yves Le Gall (CNES), Massimiliano Vitale (Planet) et Jean-Marc Gardin (Telespazio) interviendront lors du Festival de l’innovation Novaq.

Les 13 et 14 septembre, la région Nouvelle Aquitaine, en partenariat avec « Le Monde », organise deux jours de débats, conférences, pitchs et ateliers au H14, à Bordeaux.

Scientifiques, experts, entrepreneurs échangeront autour de trois grands thèmes : le cerveau, l’espace et l’océan. Fil rouge de cette édition : l’innovation au service de l’humain.

Programme et inscriptions ici.