Saisi par les défenseurs des droits de l’homme, le Conseil doit se prononcer sur la constitutionnalité de cet article de loi qui fait débat. / FRED DE NOYELLE / GODENG / Photononstop

De toutes les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) sur lesquelles le Conseil est saisi, celle-ci est particulièrement attendue. Dans un contexte où l’Union européenne se divise sur le sujet de la politique migratoire, le Conseil constitutionnel devra se prononcer sur le « délit de solidarité », cet article du code de l’entrée et du séjour des étrangers qui punit l’aide au séjour irrégulier.

Auditionnés mardi 26 juin, des défenseurs de militants portant secours aux migrants à la frontière franco-italienne ont demandé au Conseil constitutionnel d’abolir ce « délit de solidarité » au nom du principe de fraternité. « Les libertés fondamentales ne sont pas au service des garde-barrières », ont-ils témoigné.

« Que devient un pays, que devient une culture, une langue quand on peut y parler de délit d’hospitalité ? », a attaqué Patrice Spinosi, l’avocat de Cédric Herrou, agriculteur devenu le symbole de la défense des migrants de la vallée de la Roya, et de Pierre-Alain Mannoni, un autre militant, citant le philosophe Jacques Derrida.

Le débat reste brûlant au lendemain d’un mini-sommet destiné à aplanir les tensions entre Européens sur la question migratoire, après la crise de l’Aquarius, un navire humanitaire qui a erré des jours en mer avec 630 migrants à bord face au refus de l’Italie et Malte d’ouvrir leurs ports, avant d’accoster, finalement, en Espagne.

« Ce délit n’est pas digne de notre droit »

En France, des voix se sont élevées jusque dans la majorité pour déplorer que le gouvernement n’ait pas proposé d’accueillir le bateau, passé près des côtes corses. Face aux « sages » du Conseil constitutionnel, les défenseurs des militants jonglent entre principes et jurisprudence, à quelque distance du terrain politique. « Ce délit de solidarité n’est pas digne de notre droit. Aider de manière totalement désintéressée des hommes démunis ne devrait pas être passible de poursuites » dans un pays où le principe de fraternité est intégré à la devise de la République, a plaidé Me Spinosi.

Ses clients ont été condamnés en 2017 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence pour aide au séjour irrégulier : Cédric Herrou à quatre mois de prison avec sursis pour avoir fait passer la frontière à environ 200 migrants et Pierre-Alain Mannoni à deux mois avec sursis, pour avoir accompagné à une gare trois Erythréennes.

Ils attaquent deux articles du code de l’entrée et du séjour des étrangers : l’article 622-1 punit l’aide au séjour irrégulier, tandis que l’article 622-4 précise que cette aide ne peut donner lieu à des poursuites lorsqu’elle est le fait de la famille ou « de toute personne physique ou morale, lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte ».

Le texte précise que cette aide autorisée consiste « à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinés à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien tout autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci ».

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Le gouvernement souhaite son maintien

Sans surprise, le représentant du premier ministre a appelé à juger ces articles « conformes à la Constitution ». Dans le projet de loi asile et immigration, adopté en avril à l’Assemblée nationale, le « délit de solidarité » a été assoupli, avec l’exemption de sanctions pour les militants qui apporteraient des soins, un hébergement et de la nourriture aux migrants sans qu’il y ait de contrepartie lucrative. Encore « très insuffisant » pour les défenseurs des droits de l’homme.

« La volonté a été de supprimer le délit de solidarité. Mais le législateur, constate MSpinosi, n’a pas réussi à poser cette ligne de démarcation pourtant simple entre l’action de passeurs qu’il faut évidement réprimer et celle d’humanistes désintéressés. »

« Liberté, égalité, fraternité : ce sont des mots que nous avons appris à ânonner en les lisant sur le fronton des écoles », a rappelé MHenri Leclerc, qui défend des militants qui encourent « dix ans de prison » pour avoir aidé des migrants et dont le procès à Gap a été suspendu dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel.

Le pénaliste mène la charge, enrôlant le penseur de la démocratie moderne Alexis de Tocqueville : « Quand je refuse d’obéir à une loi injuste, je ne dénie point à la majorité le droit de commander, j’en appelle à la souveraineté du genre humain. » « Vous avez la possibilité, dit-il aux membres du Conseil, de faire en sorte que ceux qui tendent la main puissent continuer à le faire. Rassurez-vous, ils ne seront pas très nombreux ». La décision du Conseil est attendue le 6 juillet.