Ce sont des chiffres sensibles qu’a dévoilés, mardi 26 juin, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), la « police des polices », à l’occasion de la publication du dernier rapport annuel de sa patronne Marie-France Monéger-Guyomarc’h, qui doit bientôt quitter son poste après six ans de service. Ont ainsi été annoncés d’un côté :

  • l’explosion du recours aux armes à feu chez les policiers entre 2016 et 2017 (+ 54 %) ;
  • et de l’autre, pour la première fois de l’histoire de l’IGPN, le chiffre du nombre de morts et de blessés par les policiers sur un an, soit : 14 décès et une centaine de blessés.

Pour tous ces nouveaux indicateurs, l’IGPN a donné ses explications. « Ce recensement n’est pas le recensement des bavures policières », a tenu d’emblée à préciser Mme Monéger-Guyomarc’h avant d’en détailler la méthode de comptage. Des chiffres révélateurs néanmoins d’un climat tendu sur le terrain. Un exercice nouveau de transparence pour l’institution alors que le sujet des violences policières est devenu l’objet de forts clivages politiques et de tensions récurrentes dans les quartiers populaires.

La très forte hausse du recours aux armes à feu s’est ainsi traduite par quelque 394 utilisations, entre 2016 et 2017, selon l’IGPN. Ces tirs ont été essentiellement le fait de l’usage du pistolet dont les policiers sont porteurs en service, et beaucoup dans un cadre très particulier d’intervention, selon Mme Monéger-Guyomarc’h : le refus d’obtempérer des véhicules en mouvement. Tous ces coups de feu ont donné lieu à des enquêtes administratives. Tous ont été considérés comme de la légitime défense. Ils pourraient néanmoins amener la maison police, soucieuse à demi-mot de cette évolution, à revoir son offre de formation.

Ce chiffre de 394 n’est en effet pas étranger à une nouvelle loi entrée en vigueur en février 2017. Celle-ci a élargi les règles de la légitime défense au nom de la lutte contre le terrorisme. Les policiers peuvent depuis faire usage de leur arme sans risquer d’être sanctionnés, en particulier en cas de véhicule « dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ». Ce point de la loi avait été particulièrement débattu, de crainte qu’il n’engendre une multiplication de l’usage des armes à feu.

Mme Monéger-Guyomarc’h n’a toutefois pas souhaité attribuer cette hausse des tirs à cette évolution législative. L’augmentation était « déjà sensible avant février 2017 », selon elle. D’après elle, il n’y a qu’un seul cas où la nouvelle loi a été utilisée stricto sensu durant l’année écoulée : lorsqu’à Montargis (Loiret), en août 2017, un homme d’une cinquantaine d’années a été tué à bord de sa voiture après avoir fait de violentes manœuvres et menacé de « tuer des fonctionnaires ».

Exercice de transparence

La gendarmerie est elle aussi confrontée à ce phénomène d’augmentation de l’usage des armes. Selon nos informations, entre 2016 et 2017, cette hausse a été de 15 %. Une augmentation qui serait toutefois ponctuelle, ce chiffre ayant nettement diminué sur les dix dernières années : de l’ordre de – 20 %. En parallèle, le nombre d’agressions contre des gendarmes a littéralement explosé : + 68 %. Des chiffres qui font dire à la gendarmerie qu’il y a une « meilleure maîtrise de l’armement ». « Malgré l’augmentation des situations qui exigent de recourir aux armes, c’est le plus faible niveau de coercition qui est utilisé », ajoute-on.

Pour la première fois, mardi 26 juin, l’IGPN s’est livrée par ailleurs à un exercice de transparence consistant à communiquer sur le nombre de personnes tuées ou blessées sur l’année écoulée. Quelque quatorze personnes ont ainsi été tuées par la police entre le 1er juillet 2017 et le 31 mai 2018. Ce chiffre comprend les individus tués après avoir commis un acte terroriste, quatre suicides de personnes ayant mis fin à leurs jours au moment où la police intervenait et un certain nombre d’autres morts dues à des fuites (accident, noyade etc.). Mme Monéger-Guyomarc’h n’a toutefois pas donné plus de détails sur ce dernier indicateur.

Le comptage des blessés, lui, concerne seulement la période allant du 1er juillet au 31 décembre 2017. Il se limite par ailleurs aux personnes ayant eu des incapacités totales de travail d’au moins huit jours. Un critère destiné à permettre à l’IGPN de se concentrer sur les « blessés sérieux ». Le but : mieux identifier les cas dans lesquels peut être améliorée la doctrine d’emploi.

Les armes à feu ne sont pas les seules à faire l’objet d’un usage plus intensif dans le bilan de l’IGPN. Si l’utilisation de la grenade à main de désencerclement, souvent utilisée lors des manifestations contre la loi travail en 2016, a connu une baisse de 8 %, l’emploi des pistolets à impulsion électrique et lanceurs de balles de défense ont connu, eux aussi une hausse : de respectivement 20 % et 46 %. Soit, en valeur absolue, 1 403 déclarations d’usage pour les premiers, et 2 495 pour les seconds. « Malgré sa très mauvaise réputation, le pistolet à impulsion électrique permet de faire baisser la pression et de sauver des vies », a insisté Mme Monéger-Guyomarc’h.

Ce bilan IGPN est enfin marqué par une hausse des enquêtes judiciaires à la suite d’allégations visant des fonctionnaires de police dans plusieurs catégories notables : « violences volontaires » (574 enquêtes ouvertes dans le bilan 2017 contre 543 au bilan en 2016), « violation du secret » (55 contre 47), et « vol » (125 contre 104). En matière « d’injures racistes », en revanche, il y a eu une légère baisse (de 42 à 32). Les enquêtes pour corruption quant à elles, sont stables (43). Le nombre total d’enquêtes ouvertes a été de 1 108, contre 1 015 au bilan 2016, soit + 10 %.