John Flannery, le PDG de General Electric, à New York, le mardi 26 juin. / Richard Drew / AP

Les dinosaures industriels meurent aussi. Il y a quelques années, qui aurait prédit que General Electric (GE), entreprises phare de Wall Street et fierté du made in America, devrait se recentrer sur trois métiers seulement : les moteurs d’avion, les turbines de centrales électriques et les énergies renouvelables ? C’est bien cette stratégie d’attrition qu’a annoncée son PDG, John Flannery, mardi 26 juin, lors d’une conférence téléphonique, confirmant une tendance engagée depuis sa nomination expresse, en août 2017, après l’éviction de Jeffrey Immelt, en poste depuis 2001.

Pourquoi ne conserver que ces activités ? « Leur modèle économique est très similaire, a-t-il répondu. Ce sont des produits de haute technologie très différenciés, leur base d’installation est vaste et nécessite des contrats de services à long terme. » Ces trois métiers devront gagner en indépendance par rapport au siège de Boston, pour leur stratégie et son exécution, a-t-il indiqué. Cette décentralisation est, selon lui, essentielle à la relance d’un géant aux pratiques managériales trop lourdes.

Pour la France, cette stratégie n’est pas indifférente. GE y emploie 16 000 salariés (sur un total de 300 000 dans 130 pays) dans les secteurs de l’énergie (11 000), la santé, l’aviation et depuis peu le numérique. Et si les énergies renouvelables, notamment l’éolien, ont le vent en poupe, l’activité des turbines de grande puissance fabriquées à l’usine de Belfort est en berne, faute de commandes des groupes d’électricité. Non seulement GE ne parviendra pas à créer les 1 000 emplois nets à fin 2018 promis lors de l’acquisition d’Alstom Energie en 2015, mais une menace pèse sur les autres branches.

Chaque entité doit retrouver le chemin des profits

Les actionnaires, notamment l’activiste Nelson Peltz, fondateur du fonds Trian Partners, qui a investi 2,5 milliards de dollars (2,1 milliards d’euros) dans GE, sont arrivés à leurs fins. Ils avaient déjà obtenu le départ précipité de M. Immelt. Depuis, ils exercent une pression de tous les instants sur son successeur pour qu’il découpe le conglomérat et que chaque entité retrouve le chemin des profits et leurs actionnaires les dividendes d’antan. Petits et gros porteurs s’inquiètent, en effet, de l’évaporation en un an de 50 % de la capitalisation boursière, tombée à 111 milliards de dollars. La perte de plus de 6 milliards en 2017 avait obligé GE à réduire son dividende.

L’entreprise va opérer un « spin off » de sa division médicale (IRM, scanner, échographes, thérapie cellulaire…), dont la valeur est estimée entre 65 et 70 milliards de dollars (dette comprise). Après l’aéronautique, qui reste dans le giron du conglomérat de Boston, GE Healthcare est l’activité la plus rentable. Une part de 20 % sera mise sur le marché et 80 % du capital redistribués aux actionnaires. Pour son patron, Kieran Murphy, cette indépendance donnera plus de flexibilité dans une activité sans cesse bouleversée par l’innovation. Siemens a fait de même, en mars. L’introduction en Bourse de son activité médicale, en concurrence frontale avec GE, a été la deuxième plus grosse opération de ces quinze dernières années en Allemagne. Et s’est soldée par un bon parcours boursier.

Par ailleurs, M. Flannery a confirmé la vente, dans les deux ou trois prochaines années, des 62,5 % détenus dans Baker Hughes, le troisième parapétrolier américain valorisé 23 milliards de dollars. Acquise en 2016, quand les cours du pétrole commençaient à se redresser, la société de Houston n’a pas dégagé les résultats attendus et, surtout, n’est plus dans le cœur de métier de GE. L’activité énergie d’Alstom demeure en revanche stratégique, même si M. Flannery a jugé l’acquisition « très décevante » sur un marché des centrales électriques déprimé.

Gagner en efficacité

Enfin, le groupe vient d’annoncer la cession de sa filiale dans les gros moteurs industriels et finalise celle de sa division locomotives de fret, une de ses premières activités avec les ampoules. L’attrition se poursuit, mais GE devrait ainsi alléger sa dette de 25 milliards de dollars. Depuis le début des années 2010, GE a vendu l’essentiel du mammouth financier GE Capital (banque, assurance, prêts…) bâti dans les années 1980-1990 par Jack Welch, les médias (NBC Universal) à l’américain Comcast, une partie des systèmes d’éclairage et les plastiques, l’électroménager (GE Appliance) au chinois Haier, l’assainissement d’eau (GE Water) à Suez, l’activité « solutions industrielles » à l’helvético-suédois ABB.

Finies, donc, les stratégies d’acquisitions de l’« ère Welch » et même de l’« ère Immelt ». Au terme de ces cessions, le chiffre d’affaires de GE sera deux fois moins important qu’il y a dix ans. Redimensionné, il doit gagner en efficacité. M. Flannery a annoncé, mardi, une nouvelle fonction pour un administrateur arrivé début 2018, Larry Culp. L’ex-PDG du groupe industriel Danaher, qu’il a piloté d’une main de maître durant quatorze ans, supervisera l’amélioration attendue de la performance opérationnelle de GE.

« C’est un jour à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de General Electric », a indiqué M. Flannery. Si l’on veut ! Car il faisait ces annonces le jour même où l’entreprise était exclue du Dow Jones Industrial Average, le prestigieux indice de Wall Street dont elle était membre depuis sa création en 1896. GE ne fait plus partie du club fermé des trente sociétés censées représenter l’économie des Etats-Unis. Le symbole d’une modification en profondeur de l’industrie américaine.