Le prêtre rwandais Wenceslas Munyeshyaka (au centre), à Evreux, en 2006. / ROBERT FRANÇOIS / AFP

La justice a pris son temps. En 1995, le père Wenceslas Munyeshyaka était le premier Rwandais résidant en France contre lequel une plainte était déposée pour son implication présumée dans le génocide des Tutsi, qui fit, entre avril et juillet 1994, près de 800 000 morts au Rwanda. Jeudi 21 juin, soit vingt-quatre ans après les faits incriminés, la cour d’appel de Paris a confirmé le non-lieu, prononcé en 2015, dont a bénéficié l’ancien curé de l’église de la Sainte-Famille de Kigali.

Les juges d’instruction du département « crimes contre l’humanité » ont confirmé l’ordonnance estimant que sa passivité face aux massacres ne pouvait suffire à le faire comparaître devant la cour d’assises de Paris, tout en reconnaissant le rôle « trouble » du prêtre. Le parquet avait requis un non-lieu faute de charges suffisantes, au terme d’une enquête alimentée par des centaines de témoignages et de plusieurs déplacements des juges et des gendarmes spécialisés au « pays des milles collines ».

« Au-delà de l’acquittement, cela signifie qu’il n’y a pas de charges, s’est félicité auprès de l’AFP Me Jean-Yves Dupeux, avocat du père Munyeshyaka. Voilà un homme qui a été mis en cause pour des faits gravissimes, qui s’est défendu pied à pied et qui a réussi à démontrer qu’il s’agissait d’accusations mensongères. Cette procédure a été mise en œuvre par des associations proches du pouvoir rwandais. »

« Des témoins sont morts »

« Nous ressentons de la frustration plus que de la déception, déplore Oliver Kameya, partie civile au procès. Le système judiciaire a fait traîner la procédure, ce qui est pire que le déni de justice. » Le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), une association qui poursuit de possibles génocidaires réfugiés en France, a annoncé son pourvoi en cassation.

Ce nouvel épisode judiciaire s’annonce comme la continuation d’un long marathon judiciaire. Dans l’Hexagone et bien qu’il ait été incarcéré à deux courtes reprises, en 1995 et en 2007, Wenceslas Munyeshyaka, âgé aujourd’hui de 59 ans, a été à l’origine en 2004 d’une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour « méconnaissance du principe du délai raisonnable », l’instruction de l’affaire ayant été estimée trop lente.

En 2006, le curé, installé aujourd’hui en Normandie, a été condamné par contumace à la prison à perpétuité par les autorités rwandaises. L’année suivante enfin, un mandat d’arrêt a été lancé par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) contre celui que l’on pouvait voir dans son église de Kigali portant un pistolet et un gilet pare-balles.

« La durée exceptionnellement longue de l’instruction de ce dossier peut expliquer en partie la décision qui a été rendue par les juges d’instruction, explique Me Richard Gisagara, dont le cabinet assistait des parties civiles. En plus de vingt années, des témoins importants sont morts et n’ont pas pu être entendus par la justice. Il y a, parmi eux, Rose Rwanga, morte en 2009, qui accusait le père Munyeshyaka du rôle qu’il a eu dans l’assassinat des membres de sa famille, notamment sa fille tuée alors qu’elle s’était réfugiée dans l’église. »

Le 4 juillet 1994, veille de la libération de Kigali par le Front patriotique rwandais mené par Paul Kagame, réélu à la tête de l’Etat en 2017, Wenceslas Munyeshyaka était parvenu à rejoindre le nord de son pays. A-t-il ensuite été exfiltré par les militaires français de l’opération militaro-humanitaire « Turquoise », comme cela a parfois été avancé par ses accusateurs ? Ce qui est certain, c’est qu’il a passé la frontière et s’est retrouvé à Goma dans l’ex-Zaïre où il a retrouvé plus d’une trentaine de prêtres.

Le déclassement des archives militaires concernant le génocide des Tutsi, que soutient l’amiral Jacques Lanxade, chargé de la mise en œuvre de l’opération « Turquoise », pourrait-elle permettre de retracer le parcours exact de l’ancien curé de Kigali ? « Les archives nous renseigneront d’abord sur le rôle de la France en 1994 », répond Alain Gauthier, président du CPCR.

Vendredi 29 juin, aux assises de Paris, auront lieu les plaidoiries en appel de deux bourgmestres rwandais, dont la justice doit déterminer le niveau de responsabilité qu’ils ont eu lors du massacre de plus de 2 000 Tutsi au cours d’une même journée de 1994, dans l’église du petit village de Kabarando. Octavien Ngenzi et Tito Barahira ont été condamnés en 2016 par la justice française à la prison à perpétuité.